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— Alors, ce serait bien votre faute, mon garçon. Comment ? vous la tenez ici, claquemurée au milieu de l’Océan, ayant tout le temps de lui dire tout ce qui vous passe par la tête, et vous ne lui feriez pas baisser pavillon ? Vous ne seriez pas alors le Miles Wallingford que je me figure.

Je fis en riant une réponse évasive, et, comme nous étions tout près de la tente, il fallut changer de conversation. Le lecteur pourra le trouver étrange ; mais c’était la première fois que la possibilité d’épouser Émilie Merton se présentait à mon esprit. À Londres, les relations que j’avais eues avec elle avaient à peine été empreintes de cette légère teinte de romanesque qui se glisse toujours plus ou moins dans les liaisons de jeunes gens de dix-neuf ans et de jeunes filles de seize. Lorsque je revis Émilie à la Terre de Marbre, il me sembla que je retrouvais une amie, mais rien de plus. Pendant le mois que nous avions passé sur le même bâtiment, cette intimité s’était graduellement accrue, et j’avoue que depuis qu’elle était à bord, la Crisis avait pris à mes yeux un tout autre aspect que du temps du pauvre capitaine Williams. Malgré tout, il y avait quelque chose — un je ne sais quoi que je n’aurais pu définir — qui m’empêchait de tomber positivement amoureux de ma charmante compagne de voyage. Mais les insinuations de Marbre ne m’en étaient pas moins agréables, et elles me préparèrent à savourer encore mieux le plaisir de revoir mes amis.

Nous reçûmes l’accueil le plus amical. Toutes les fois que Marbre m’accompagnait, le major ne manquait pas de rappeler de quelle manière notre connaissance s’était formée. Son jardin fit en partie les frais du déjeuner ; il s’y trouvait encore quelques légumes ; et quatre poules laissées dans l’île dans la précipitation de son départ, avaient commencé à pondre, de sorte que nous eûmes le régal, si rare pour un marin, de manger des œufs frais.

— Émilie et moi, nous nous regardons ici comme de vieux habitants, dit le major en jetant les yeux autour de lui, — la table avait été mise en plein air, sous un bouquet d’arbres ; — et je me résignerais sans peine à passer dans cette île le reste de mes jours, si ce n’était ma chère enfant qui pourrait trouver la société de son vieux père un peu monotone à son âge.

— Eh bien, major, vous n’avez qu’à parler, et il n’est pas un de nos officiers qui ne se fît un plaisir de lui tenir compagnie. Il y a d’abord M. Talcott, charmant garçon, bien élevé et du meilleur ton ; et puis, nous avons le capitaine Wallingford. Celui-là, je réponds de lui. Il laisserait là Clawbonny et toutes ses dépendances, bien qu’il