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dernier commandement. Depuis dix jours je me suis mis à généraliser en grand sur ma vie, et j’en suis venu à cette conclusion que le Seigneur m’a créé pour être votre second, et non vous pour être le mien. Quand la nature a des vues particulières sur quelqu’un, elle ne le jette pas, comme moi, à la dérive parmi les hommes.

— Je ne vous comprends pas, monsieur Marbre. Si je connaissais votre histoire, peut-être tout s’expliquerait-il.

— Miles, voulez-vous me faire un plaisir ? il ne vous en coûtera pas beaucoup, et vous m’obligerez sensiblement.

— Dites, Monsieur ; vous n’avez qu’à commander.

— Eh bien ! qu’il ne soit plus question de « Monsieur » entre nous, ce n’est plus convenable. Appelez-moi Marbre ou Moïse, comme moi je vous appelle Miles.

— Soit, mon cher Marbre ; mais voilà deux ans que vous me promettez votre histoire, soit dit en passant.

— Elle peut être racontée en peu de mots, et elle ne vous sera pas inutile. La vie d’un homme, convenablement généralisée, vaut pour le moins tout autant que la plupart des sermons ; elle est pleine de ce que j’appelle la morale des idées. Vous savez sans doute à qui je dois mes noms ?

— Mais vraisemblablement à vos parrain et marraine, comme nous tous, je suppose.

— Vous êtes cette fois plus près de la vérité que vous ne pensez, mon garçon. Je n’avais qu’une semaine, m’a-t-on dit, quand un beau matin on me trouva dans un panier au milieu de l’atelier d’un marbrier, sur une pierre qu’on taillait pour un tombeau ; je présume qu’on avait choisi cette place pour que les ouvriers ne pussent manquer de me trouver, quand ils se mettraient à l’ouvrage. C’était sur le bord même de la Rivière, dans la ville d’York.

— Et voilà tout ce que vous savez de votre origine ?

— Et je ne désire pas en savoir davantage. Pourquoi voudrais-je connaître des parents qui me renient ? Vous, Miles, vous avez connu, vous avez aimé votre mère ?

— Si je l’ai aimée ! jusqu’à l’adoration, mon cher Marbre, si jamais personne en fut digne sur la terre !

— Oui, oui, c’est un sentiment que je puis comprendre, reprit Marbre en faisant un trou dans le sable avec son talon, et d’un air triste et pensif. — Ce doit être une grande consolation d’aimer et de respecter une mère. J’ai vu des jeunes gens mettre de côté leurs épargnes pour leurs mères, beaucoup plus volontiers qu’ils ne l’auraient fait pour eux-mêmes. N’importe, en appareillant je suis entré