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cœur du pauvre Marbre. Trois minutes après, il était sur le pont de son vieux bâtiment. Il m’était impossible de dire une parole ; et le pauvre Marbre était à peu près dans le même cas, quoiqu’il fût mieux préparé à l’entrevue.

— Je vous ai reconnu, Miles, dit-il enfin, pendant que de grosses gouttes coulaient de ses yeux, je vous ai reconnu ainsi que l’infernale Polly, dès que le brouillard s’est levé. Voilà donc ma Crisis sous son ancien pavillon, et ces maudits Français ne pourront pas se pavaner chez eux à nos dépens ! Bien, mon garçon, très-bien ! je suis aussi content que si j’avais moi-même été vainqueur.

C’était toujours le même homme, vigoureux et bien portant. Ce fut dans tout l’équipage à qui lui serrerait le premier la main, à qui le féliciterait, et il se passa un grand quart d’heure avant qu’il lui fût possible de raconter ce qui lui était arrivé. Quand enfin le silence fut un peu rétabli, il s’essuya les yeux et chercha à raffermir sa voix :

— Vous savez comment je vous ai quittés, mes amis, dit-il en commençant, et dans quelle intention. Ce fut une demi-heure avant la bourrasque que je vous vis pour la dernière fois. J’étais alors assez près du bâtiment pour reconnaître que c’était un baleinier ; et persuadé que je vous verrais le matin, je crus plus prudent de chercher à l’accoster, que de me mettre à la recherche du schooner dans l’obscurité. Je trouvai dans le capitaine un ancien camarade qui cherchait lui-même un canot qui avait été entraîné en dérive la nuit précédente. Quoique charmés de nous revoir, nous n’avions pas de temps à perdre en compliments, vous comprenez bien. Il courut des bordées, d’abord pour vous parler, et ensuite à cause de la rafale. Pendant que M. Walligford serrait sans doute le vent pour me trouver, nous laissions arriver pour ménager notre mâture ; et le lendemain, plus de schooner à aucun point de l’horizon. Comment nous sommes-nous perdus : c’est ce que je ne saurais dire ; car je n’irai pas croire que vous m’ayez laissé là de gaieté de cœur, au milieu de l’Océan.

— Nous sommes restés en croisière pendant toute la journée, sans nous éloigner de plus de cinq milles du point où nous nous étions séparés, m’écriai-je avec chaleur.

— Oui, oui, commandant, dirent ensemble tous les matelots, nous avons fait tout ce que des hommes pouvaient faire pour vous trouver.

— Je le sais ! vous n’aviez pas besoin de le dire ; je l’aurais juré. Eh bien, voilà toute l’histoire. Il fallait rester à bord du baleinier on se jeter à la mer, il n’y avait pas d’autre alternative ; et je suis d’au-