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une grande impatience de partir. Je n’eus pas de peine à en deviner la cause : il voulait emmener Émilie le plus vite possible. Son intention était de mettre le schooner à l’eau dans l’après-midi pour nous le laisser, et d’appareiller lui-même le lendemain matin. Les Français remuaient ciel et terre pour que tout fût prêt. J’avoue que ces nouvelles me causèrent quelque peine ; j’avais eu tant de plaisir à retrouver les Mertons dans cette île déserte ! et j’allais de nouveau en être séparé ! J’appris à Marbre la rencontre que je venais de faire, et je le conduisis à la tente où je le présentai à ses anciennes connaissances. Marbre prit le major par le bras pour faire une promenade avec lui sous les arbres, ce qui me procura encore une demi-heure de tête à tête avec Émilie.

Mais M. Le Compte ne tarda pas à reparaître, ce qui nous rappela au sentiment de notre situation réelle. Je dois dire que, malgré sa jalousie évidente, il nous témoigna les plus grands égards. Il eut le tact de cacher ses sentiments ; et, soit calcul de sa part, soit générosité, il témoigna une confiance beaucoup plus propre à lui concilier l’affection d’Émilie que tous les actes de rigueur. Il porta l’attention jusqu’à nous inviter tous à dîner, et il nous traita d’une manière vraiment royale : soupe à la tortue, Champagne, les mets les plus délicats, tout nous fut prodigué ; c’était un véritable repas d’aldermen.

À cinq heures, nous fûmes invités à assister à la mise à l’eau du schooner. Le Champagne et le bordeaux avaient mis Marbre en bonne humeur, et j’étais aussi assez en train. Émilie mit son chapeau, prit son parasol, comme si elle eût été chez elle, et, acceptant mon bras, elle se dirigea avec moi vers le chantier. J’avais insinué à Marbre que l’occasion pourrait se présenter de tomber sur les Français, pendant qu’ils seraient tous à regarder le schooner ; mais M. Le Compte avait eu soin de mettre la moitié de son équipage à bord de la Crisis, et les batteries auraient balayé l’île dans toutes les directions.

Les ouvriers français s’étaient distingués dans la construction de la petite Pauline ; non-seulement c’était, pour sa grandeur, un bâtiment sûr et commode ; mais, ce qui était plus important pour nous, tout annonçait que ce serait un fin voilier. Je sus par la suite que c’était le capitaine Le Compte qui avait dirigé les travaux ; en fait d’art, il réunissait la théorie à la pratique. Le bâtiment sur lequel les Mertons étaient venus à Bombay avait à bord le cuivre nécessaire pour une frégate construite en teck et une corvette, et ce cuivre avait été transporté à bord de la Pauline avant l’incendie de la prise. Pro-