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sa délicatesse peut lui suggérer ; et jamais passagers n’ont été plus libres ni entourés de plus de soins que nous ne l’étions à bord de la Pauline. La chambre de l’arrière nous avait été abandonnée pour notre usage. À Manille, on me laissa toute liberté, sur ma simple promesse de revenir. Dans toutes les circonstances, nous sommes traités avec les plus grands égards ; mais Émilie est trop jeune pour épouser un homme de quarante ans, trop anglaise pour aimer un étranger, et trop bien née pour accepter un homme qui n’est que dans la marine marchande, je veux dire qui n’a rien, et qui n’est rien que par son bâtiment.

Je compris la distinction du major ; il voulait établir une différence entre l’héritier de Clawbonny, courant les mers pour son plaisir, et celui qui ne le faisait que par métier. Elle n’était pas faite très-délicatement, mais c’était quelque chose dans la bouche d’un Européen parlant à un Américain, c’est-à-dire à un être d’un ordre inférieur, sous tous les rapports : moral, politique, physique, social, autres que financier. Grâce au ciel, le dollar américain est reçu, poids pour poids, tout aussi bien que toute autre monnaie d’Europe. On va même jusqu’à le préférer au thaler de papier de Prusse.

— Je conçois aisément que miss Merton porte ses prétentions plus haut que le capitaine Le Compte, répondis-je en inclinant la tête, pour remercier tacitement de la distinction faite en ma faveur, et je suis convaincu que ses importunités cesseraient, s’il était convaincu qu’elles sont inutiles.

— Vous ne connaissez pas les Français, monsieur Wallingford, dit Émilie. Essayez donc de persuader à l’un d’eux qu’il n’est pas adorable.

— Je ne saurais croire que ce faible s’étende jusqu’aux marins, répondis-je en riant. En tout cas, vous serez délivrée, dès que vous aurez mis le pied en France.

— Et plus tôt, je l’espère, Wallingford, reprit le père. Ces Français peuvent faire ce qu’ils veulent ici dans la solitude de l’Océan Pacifique ; mais, une fois sur l’Atlantique, nous trouverons quelque croiseur anglais qui nous recueillera sur son bord, longtemps avant que nous touchions la France.

Cet espoir était raisonnable, et ce fut quelque temps le sujet de la conversation. Quand je crus prudent de me retirer, le major m’accompagna, pour me montrer à l’extrémité de l’île une pointe d’où je pouvais voir le bâtiment naufragé, puis il me laissa, et je continuai à suivre la côte, réfléchissant à tout ce qui s’était passé.

Le procédé d’après lequel la nature dispose ses matériaux pour fonder des îles au milieu d’océans tels que le Pacifique, est une