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que se rendre à discrétion, ne furent pas plutôt acceptés que les hommes de notre équipage furent rassemblés sur le gaillard d’avant d’où ils furent transférés sur les embarcations qui devaient les conduire à terre. Toutes les caisses, tous les effets personnels furent transportés avec les plus grandes précautions à bord des canots de la Pauline, qui étaient prêts à les recevoir. Quant à nous autres officiers, nous fûmes mis à bord du canot du capitaine, Neb et le mousse du capitaine étant chargés de veiller à notre bagage. Quand tout le monde fut embarqué, nous nous dirigeâmes vers la terre, et jamais on ne prit plus tristement possession d’un pays nouvellement découvert. Marbre affectait de siffler, mais je remarquai qu’il mêlait ensemble deux airs d’une mesure tout à fait différente. Pour dire la vérité, le moral de l’ex-lieutenant était sensiblement affecté ; quant à moi, je considérais l’affaire comme un incident de guerre, et je ne m’en tourmentai pas outre mesure.

Voilà, Messieurs ! s’écria M. Le Compte en agitant ses bras d’un air de suprême générosité ; vous serez les maîtres ici, dès que nous serons partis, et nous vous laisserons notre petit avoir.

— Oui, il est diantrement généreux, Miles, murmura Marbre à mon oreille. — Il nous laissera l’île, et les récifs, et les noix de coco, et il s’en ira avec notre bâtiment et sa cargaison. Je parierais tout au monde qu’il ne nous laissera pas même son infernal schooner.

— Que sert de nous plaindre, commandant ? En nous maintenant en bonne intelligence avec les Français, nous pouvons adoucir notre sort.

L’événement prouva bientôt combien je disais vrai. Le capitaine Le Compte nous invita à venir partager son déjeuner, et nous nous rendîmes à cet effet dans la tente des officiers français. Pendant ce temps, les matelots français transportaient à bord le peu d’objets qu’ils comptaient emporter, dans l’intention généreuse de laisser leurs tentes à la disposition immédiate de nous autres prisonniers. Comme le projet de M. Le Compte était de se rendre dans la mer d’Espagne, pour y compléter ses opérations de commerce, on embarqua également les articles qu’on s’était proposé primitivement d’échanger contre des dollars. Pendant ce temps, nous nous mîmes à table.

C’est la fortune de guerre, Messieurs, observa le capitaine Le Compte en faisant tourner légèrement entre ses mains le moussoir dans une cafetière de chocolat avec toute la dextérité d’un artiste consommé. — À merveille, Antoine, c’est excellent.

Antoine parut sous les traits d’un mousse bien enfumé, dont le visage était couleur de cuivre ; il reçut ordre de porter une tasse de chocolat, avec les compliments du capitaine, à Mademoiselle, et de