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du pavillon américain tout aussi à cœur que le matelot à la peau la plus blanche des États-Unis. En général la fidélité des nègres est à l’épreuve.

J’expliquai à l’Échalas le moyen de faire monter les deux noirs, sans que personne pût les accompagner. Lorsqu’il l’eut compris, il l’approuva, et je donnai à Marbre les instructions nécessaires. On laissa glisser une corde, par-dessus le canot de l’arrière, jusqu’à la fenêtre de la chambre, et Neb en passa le bout autour de son corps ; puis il fut halé jusqu’au plat-bord du canot par les sauvages. Le même procédé fut employé à l’égard de Joé. Avant de laisser les nègres grimper aux agrès, l’Échalas leur fit une courte harangue, accompagnée de gestes significatifs pour leur intimer ce qui les attendait s’ils se conduisaient mal ; après quoi je les envoyai à la grande hune, et ils y montèrent avec empressement.

Avec ce renfort, le grand mât de hune fut guindé en quelques minutes. Neb reçut l’ordre ensuite de placer le gréement, et de parer la vergue, pour qu’elle pût être mise en place. Une heure se passa en travaux actifs, au bout de laquelle tout était en place sur le grand mât, depuis la tête du mât de hune jusqu’au pont. Le mât de perroquet était élongé sur les passe-avants, et on ne pouvait songer à en rien faire. Je leur criai de détacher les deux voiles. Les sauvages poussèrent un cri de joie quand ils virent le vent dans le hunier. J’ajoutai la grande voile, et alors le navire porta au large avec une vitesse toute nouvelle. Je ne pouvais plus quitter le gouvernail, dont l’Échalas commençait à soupçonner l’usage. En ce moment, nous étions à plus de deux lieues de l’Île, et les objets n’apparaissaient plus que confusément sur la côte. Quant aux canots, il n’en était plus question ; nous n’avions plus de chasse à craindre de leur part. Le danger n’était pas là.

L’Échalas revint à la charge pour me faire virer de bord. L’éloignement de la terre l’inquiétait de plus en plus, et le mal de mer avait déjà étendu quatre Indiens sur le pont. Je voyais qu’il était lui-même mal à son aise ; mais son courage et le danger qu’il courait le faisaient se tenir sur le qui-vive. Il était nécessaire de paraître faire quelque chose ; j’envoyai les nègres dans la hune de misaine pour mettre en place la vergue du petit hunier et établir la voile. Cela occupa encore une heure, et alors la terre avait complètement disparu. Dès que le perroquet de fougue fut établi, je brassai très en pointe, et je vins au plus près du vent. Nos Indiens n’y purent résister ; il y avait alors une brise de sept nœuds et une grosse mer de l’avant. Ils tombèrent l’un après l’autre comme des fleurs qui pen-