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trouve pied au moment où il se croyait entraîné dans un précipice.

On reconnut que le bâtiment pouvait mouiller aisément avec un seul câble, et on fit manœuvrer le vireveau pour hisser la seconde ancre, parce que la sonde nous avertissait de la présence de récifs, et que notre capitaine craignait qu’il ne fût ragué ; aussi caponna-t-on sur-le-champ l’ancre de bossoir de bâbord, en la laissant suspendue, avec la bitture prise, toute prête à mouiller de nouveau quand il le faudrait. On donna ordre ensuite à l’équipage d’aller souper ; mais, nous autres officiers, nous avions autre chose à faire : il y avait à bord un petit canot de l’arrière, nous le mîmes à la mer, et le troisième lieutenant et moi nous prîmes les avirons pour conduire le capitaine autour du navire, afin qu’il s’assurât du sondage, s’il était nécessaire de se remettre en route pendant la nuit. L’examen fut satisfaisant en tous points, sauf un seul : le fond ; et nous remontâmes à bord ayant eu soin de ne nous fier ni au vent ni au courant. Le quart fut établi, et tout le monde alla se reposer.

J’étais du quart de la pointe du jour. Je ne saurais dire en détail ce qui se passa depuis sept heures du soir jusqu’à près de quatre heures du matin ; j’appris seulement que le vent continua à souffler dans la même direction, bien que diminuant peu à peu de violence ; et, vers minuit, c’était plutôt un grain qu’une véritable tempête. Le bâtiment se comportait assez bien à l’ancre ; mais quand le flot arriva, le remous cessa de se faire sentir, et le courant commença à battre les rivages de l’île avec une force extraordinaire. Dix minutes à peu près avant l’heure où devait commencer mon quart, le capitaine appela tout le monde en haut ; je courus sur le pont, et je vis que le bâtiment allait en dérive. Marbre avait mis le cap au vent, étant à sec de voiles comme auparavant, et nous nous mîmes aussitôt à virer sur le câble. On reconnut que l’accident avait été causé par les récifs ; les cordages se trouvaient ragués aux deux tiers de leur épaisseur. Dès que le courant s’était attaqué au corps du bâtiment, le câble s’était rompu. Nous perdîmes forcément notre ancre, car il n’y avait pas moyen de reprendre notre poste avant le retour du jusant.

Il ne devait faire jour que dans quelques heures, et le capitaine tint conseil. Il nous dit qu’il ne doutait pas que le bâtiment ne fût entré, à l’aide de la Providence, dans un des détroits de la Terre de Feu, et, comme il supposait que nous devions être assez au sud pour nous trouver presque à la hauteur de la Terre-des-États, il pensait avoir fait une découverte importante. Retourner en arrière était impossible, tant que le vent resterait où il était ; il était donc disposé à se porter en avant, et à pousser l’inspection du canal aussi loin que