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objets qu’on pouvait distinguer sur le rivage. La terre s’étendait parallèlement à la direction que nous suivions, en avant et en arrière, aussi loin que la vue pouvait porter.

— Quelle étrange illusion ! pensai-je en moi-même, en me retournant vers mes compagnons, quand je les vis se regarder aussi les uns les autres, comme pour se demander une explication.

— Il n’y a là aucune erreur, dit avec calme le capitaine Williams, c’est la terre, Messieurs !

— Aussi vrai que l’évangile, répondit Marbre avec la fermeté que donne quelquefois le désespoir. Que faut-il faire, commandant ?

— Que peut-on faire, monsieur Marbre ? L’espace nous manque pour virer vent arrière, mais autant que j’en puis juger, nous avons de la mer devant nous.

Cela était trop clair pour admettre l’ombre d’un doute. Nous voyions toujours la terre, qui paraissait basse, froide, ayant la teinte de novembre, et nous pouvions reconnaître que sur l’avant, du moins, elle se dirigeait au nord, tandis que de l’arrière elle semblait nous opposer une barrière infranchissable. L’extrême rapidité avec laquelle le navire la côtoyait nous était aussi trop clairement attestée par le témoignage de nos yeux, pour qu’il y eût la moindre chance d’erreur. Le bâtiment ne portait pas la moindre voile, étant entraîné par le vent comme il l’était depuis plusieurs heures, et plongeant dans la mer jusqu’aux écubiers. Nous ne pouvions devoir notre salut qu’à quelque marée impétueuse ou à quelque courant. Nous essayâmes la sonde, qui nous donna six brasses.

Le capitaine et Marbre eurent alors une consultation sérieuse. Ce qu’il y avait de certain, c’est que le bâtiment était entré dans une espèce de pertuis ; mais quelle en était la profondeur ? Trouverions-nous toujours un fond de bonne tenue, ou étions-nous exposés à ne plus avoir d’ancrage ? C’étaient là des points que toutes nos recherches étaient impuissantes à éclaircir. Nous savions que le pays appelé Terre de Feu était en réalité un groupe d’îles, coupé d’une foule de canaux et de passages, dans lesquels des bâtiments s’étaient quelquefois aventurés, mais sans que leur navigation eût produit d’autre résultat que des découvertes insignifiantes en géographie. L’opinion commune était que nous étions entrés dans un de ces passages, dans des circonstances favorables, bien que tout à fait accidentelles, et il ne nous restait qu’à chercher le meilleur ancrage, pendant qu’il faisait encore jour. Heureusement, lorsque nous avançâmes dans la baie ou dans le passage, quel qu’il fût, la tempête commença à soulever moins d’écume, et cette circonstance jointe à d’autres causes