Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 22, 1845.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur la parole des hommes, surtout lorsqu’ils sont guidés par l’appât du gain, et je n’en aurais rien fait ; mais, à dix-huit ans, on voit les choses différemment. Il me parut peu généreux de conduire un ennemi sur un homme endormi, et de ne pas chercher du moins à aider celui-ci. — Oui, oui, répondis-je, et je me mis à exécuter la manœuvre demandée ; mais il était trop tard, le lougre se glissa entre le navire et nous, au moment où nous commencions à porter de nouveau au large, et, profitant de la place que nous lui faisions, il sembla nous observer l’un et l’autre, comme pour faire son choix. Le bâtiment anglais lui parut sans doute le plus attrayant, car il mit la barre au vent et l’aborda par la hanche. On ne fit usage du canon d’aucun côté. Nous étions assez près pour voir ce qui se passait, et entendre même les coups qui étaient frappés. Ce fut une minute de solennelle anxiété pour nous à bord du brig. Les cris des blessés venaient jusqu’à nous, au milieu du calme de cette sombre matinée. Des jurements, des imprécations se confondaient avec les commandements. Quoique pris à l’improviste, John Bull se battit bien ; nous vîmes, néanmoins, qu’il avait le dessous, au moment où la distance, et le brouillard qui commençait à se condenser autour de la côte, nous dérobèrent la vue des deux bâtiments.

La disparition des combattants m’éclaira sur la conduite que je devais tenir. Lorsque je fus bien certain de n’être pas en vue, je virai de nouveau et me dirigeai vers la côte, qui était assez éloignée pour nous permettre de gouverner encore quelque temps dans cette direction ; cet expédient réussit complètement. Lorsque le jour commença à paraître, nous pûmes voir, dans le lointain, le brig et le bâtiment marchand qui s’éloignaient de terre, et se dirigeaient à toutes voiles vers la France. En 1799, il est possible que cette entreprise hardie ait réussi, et que les Français aient pu conduire leur prise dans un de leurs ports, quoique trois ou quatre ans plus tard il n’en eût pas été ainsi. Quant à l’Amanda, elle était sauvée. Nelson, après son grand exploit, ne fut pas plus heureux que je ne l’étais de mon expédient. Talcott me félicita de tout son cœur ; et je crois que tous nous étions trop disposés à attribuer à notre adresse et à notre sang-froid un résultat dans lequel le hasard entrait pour beaucoup.

À la hauteur de Douvres, nous prîmes un pilote, et j’appris que la bâtiment capturé était la Dorothée, venant des Indes occidentales, qui s’était détachée de son convoi, et était arrivée seule la veille au soir. Elle avait jeté l’ancre sous Dungeness, au commencement du jusant, et elle avait mieux aimé, à ce qu’il paraît, prendre une bonne nuit de repos que de s’aventurer, dans les ténèbres, au retour du