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manda alors si je me rappelais le brig que nous avions seringué dans notre dernier voyage, et dont les perroquets étaient disposés exactement de la même manière : la ressemblance était évidente, et j’avais fait la même remarque sur le petit nombre de bâtiments français que j’avais vus. Quoi qu’il en fût, le capitaine Williams résolut de porter dans la hanche du vent de notre voisin, et de l’examiner de plus près. Nous pouvions déjà voir qu’il était armé, et autant que nous pouvions en juger, il avait douze canons, deux de plus que nous. C’était assez pour exciter notre intérêt et nous faire redoubler d’attention.

Il nous fallut deux heures, malgré la vitesse de notre marche, pour arriver dans la hanche du vent, comme nous le voulions. Alors nos observations purent être beaucoup plus précises. Le capitaine Williams déclara lui-même que c’était un bâtiment français, porteur de lettres de marque comme nous. Il avait à peine prononcé ces mots que nous vîmes l’autre bâtiment haler bas ses bonnettes, carguer ses perroquets, enfin indiquer clairement qu’il allait se préparer au combat. Nous avions hissé notre pavillon de bonne heure le matin ; mais le navire que nous chassions avait gardé jusqu’alors l’incognito. Dès que toute sa toile légère fut serrée, il cargua ses voiles basses, tira un coup de canon au vent, et arbora le drapeau tricolore, le plus gracieux de tous les emblèmes de la chrétienté, mais moins heureux sur l’océan qu’il ne l’a été sur terre. Les Français n’ont jamais manqué d’excellents marins, et cependant les résultats n’ont jamais répondu aux moyens employés. J’ai entendu l’attribuer au peu de sympathie des Français pour les entreprises maritimes. D’autres supposent que c’est la conséquence du système étroit suivi avant la révolution, de réserver l’avancement dans toutes les carrières, non au mérite, mais à la naissance, ce qui était surtout déplorable dans la marine, où un rejeton d’une grande famille ne pouvait consentir à passer par ce noviciat rude et pénible qui seul peut faire le bon marin. Cette dernière raison me semble peu convaincante ; car le jeune gentilhomme anglais est souvent devenu le meilleur officier de marine, et en 1798, la marine française eut tout autant d’occasions de se perfectionner par la pratique, sans avoir à redouter l’influence du favoritisme, que celle des États-Unis. C’est une question que j’ai moi-même étudiée avec le plus grand soin pendant des années entières, et j’en suis toujours venu à cette conclusion, qu’il y a, où il peut être plus sûr de dire, qu’il y a eu dans le caractère national quelque obstacle puissant à ce que la France devînt une grande puissance maritime ; j’entends, sous le rapport du talent, car, pour ce qui est de la force matérielle, une si grande nation doit toujours être formidable.