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barrent son passage, et qui lui feraient éprouver le même sort s’ils le pouvaient. J’annonçai donc à M. Hardinge que je ne retournerais pas à Clawbonny, mais que je profiterais de mon séjour à New-York pour chercher de l’emploi à bord de quelque navire porteur de lettres de marque.

Neb avait reçu ses instructions ; mon bagage de mer et le sien avaient été placés secrètement à bord du Wallingford. Notre naufrage l’avait réduit à sa plus simple expression, et l’argent que me remit M. Hardinge fut employé à le compléter. Je songeai alors à chercher un navire, déterminé à m’en fier à mes yeux pour le bâtiment, et à mon jugement pour le voyage. Neb eut ordre de parcourir les quais dans le même but. Je m’en rapportais plus volontiers à lui qu’à Rupert sous ce rapport. Rupert n’aimait pas la mer, ni rien de ce qui avait trait à la profession de marin. Pour Neb, c’était bien différent. Il avait pris goût au métier, et pour tous les gros ouvrages, c’était déjà un matelot très-distingué ; dans le reste, le nègre se faisait encore sentir, quoiqu’il se montrât adroit et ingénieux à sa manière. C’était un garçon de cœur que Neb, et insensiblement je me pris à l’aimer presque comme un frère.

Un jour que je me promenais sur le quai, faisant ma ronde ordinaire, j’entendis derrière moi une voix qui criait : — Parbleu, capitaine Williams, voilà votre affaire ; prenez-le pour troisième officier, vous n’en trouverez pas de meilleur dans toute l’Amérique. — J’avais une sorte de pressentiment que c’était de moi qu’on parlait, quoique je ne reconnusse pas sur-le-champ la voix. Je me retournai, et je vis la figure rude de Marbre auprès du visage basané d’un patron de moyen-âge ; l’un et l’autre me regardaient par-dessus les filets de bastingage d’un bâtiment marchand d’une apparence très-séduisante. Je saluai M. Marbre, qui me fit signe de venir à bord, et il me présenta dans toutes les formes au capitaine.

Ce bâtiment s’appelait la Crisis, nom excellent dans un pays où l’on est sûr qu’une crise d’un genre ou d’un autre arrivera infailliblement tous les six mois. C’était un joli petit bâtiment de quatre cents tonneaux, et portant dix canons de neuf dans ses batteries. Sa cargaison était toute prête, et la seule difficulté était de trouver un troisième lieutenant. Les officiers étaient rares ; tous les jeunes gens entraient dans la marine militaire ; et M. Marbre crut pouvoir me recommander, pour m’avoir vu à l’œuvre pendant près d’un an. Je n’avais pas espéré un grade si promptement, quoique je me crusse en état de le remplir. Le capitaine Williams me questionna pendant quinze ou vingt minutes, eut ensuite un moment d’entretien avec