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je n’avais encore que douze ans, âge auquel, comme vous en conviendrez vous-même, on ne connaît guère les Cicéron, les Dante et les Corneille. Quand donc je me suis trouvé en face d’un homme qui s’est fait par son érudition une renommée qui s’étend bien au delà de l’île qu’il gouverne si admirablement, une sotte ambition m’a conduit à une folie qu’il trouve difficile de pardonner. Si pourtant j’ai parlé de grands noms que je ne connaissais pas, ce peut être une faiblesse à laquelle un jeune homme peut céder, mais qui n’est sûrement pas un crime inexcusable.

— Vous avouez donc, Signor, qu’il n’a pas existé en Angleterre un sir Cicéron ?

— La vérité me force à dire, que je n’en ai jamais entendu parler ; mais il eût été dur pour un jeune homme qui sent vivement ce qui a manqué à son éducation, d’en faire l’aveu devant un savant qu’il voit pour la première fois. Cela devient différent quand sa modestie naturelle se trouve encouragée par une bonté comme la vôtre ; et un jour de connaissance avec le signor Barrofaldi en vaut une année avec tout autre.

— S’il en est ainsi, signor Smit, je puis facilement comprendre et excuser ce qui s’est passé entre nous, répondit le vice-gouverneur d’un air aussi satisfait de lui-même que pouvait l’être le podestat. Il doit être pénible pour une âme sensible de reconnaître combien il lui manque de connaissances, faute d’avoir eu les occasions de les acquérir ; et, moi du moins, je puis dire à présent combien il est délicieux de trouver un homme assez ingénu pour en convenir. Mais si l’Angleterre n’a jamais eu un Cicéron de nom, elle en a sans doute produit plusieurs quant au talent, laissant de côté pour le moment l’auréole de gloire dont le temps couronne une réputation. Si vos devoirs, Signor, vous appellent souvent dans ces environs cet été, le plaisir que j’ai à vous voir s’accroîtra encore si vous me permettez jusqu’à un certain point de diriger vos lectures vers des ouvrages qui, avec un esprit comme le vôtre, vous seront aussi utiles qu’agréables.

Raoul lui fit les remerciements qu’exigeait une telle offre, et à compter de ce moment la meilleure intelligence régna entre eux. Le capitaine corsaire, qui, de fait, avait reçu une meilleure éducation qu’il ne le prétendait, et qui était aussi bon acteur qu’il savait être en certaines occasions flatteur adroit, se promit d’être plus circonspect à l’avenir, et d’avoir plus de réserve en parlant de littérature, quelque liberté qu’il pût se permettre sur d’autres sujets. Et cependant ce marin, audacieux jusqu’à la témérité me trompait ni ne flattait jamais