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sollicitaient de ceux qui étaient plus jeunes et plus vigoureux l’assistance à laquelle ils étaient habitués, on les fuyait comme s’ils avaient eu la peste, et on les laissait se traîner de leur mieux le long des rues divisées en terrasses. Des mères mêmes qui avaient tiré leurs enfants par la main, jusqu’à ce qu’elles craignissent d’arriver trop tard, les laissaient dans la rue pour courir plus vite, sûres de les retrouver en bas ou ils seraient retournés en roulant, s’ils ne pouvaient grimper jusqu’en haut. En un mot, c’était une scène de confusion qui offrait matière à rire, matière à gloser, et qui était pourtant assez naturelle.

Dix minutes ne s’étaient certainement pas écoulées depuis que cette nouvelle s’était répandue dans la ville basse, quand deux mille personnes se trouvèrent rassemblées sur les hauteurs, et l’on y voyait tous les principaux personnages de Porto-Ferrajo, ainsi que Tommaso Tonti, Ghita, et autres individus déjà connus du lecteur. La scène de cette soirée ressemblait tellement à celle de la précédente, — si ce n’est le plus grand nombre de spectateurs, et l’intérêt plus puissant qu’ils y prenaient, — qu’un étranger, après avoir vu la première, aurait pu croire que la seconde n’en était que la continuation. On voyait véritablement le lougre, sous sa misaine et sa grande voile, sa voile de tape-cul sur les cargues, fendre rapidement les flots, comme le cygne regagnant son nid à la nage. Cette fois pourtant le pavillon anglais flottait l’extrémité de la vergue du tape-cul, comme en triomphe ; et à la manière dont le petit bâtiment s’approchait des rochers, on voyait qu’il connaissait parfaitement la côte, et qu’il ne craignait aucun danger. Ce fut avec un air de pleine confiance qu’il passa sous les bouches à feu qui auraient pu l’anéantir en quelques minutes ; et quiconque le voyait s’avancer ainsi, pouvait puiser dans cette hardiesse la conviction que c’était un ami connu et éprouvé.

— Croyez-vous, signor Andréa, demanda Vito Viti avec un air de triomphe, qu’aucun de ces vauriens de républicains osât entrer de cette manière à Porto-Ferrajo, et surtout sachant à qui il aurait affaire, aussi bien que le sait ce sir Smit ? Souvenez-vous qu’il est venu à terre parmi nous, et il n’est pas probable qu’il voulût mettre sa tête dans la gueule du lion.

— Vous avez grandement changé d’opinion, voisin Viti, répondit le vice-gouverneur d’un ton un peu sec ; car le sir Cicéron de Raoul Yvard, et quelques autres points de l’histoire et de la politique de l’Angleterre, lui avaient laissé des soupçons qui n’étaient pas encore dissipés. — Il convient à des magistrats d’être prudents et réservés.

— S’il y a dans l’île d’Elbe un homme plus prudent et plus circon-