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et put s’apercevoir de la tâche qu’elle avait à remplir. Depuis vingt minutes, elle avait déjà rentré ses bonnettes ; toutes les boulines furent halées, et la frégate vint au plus près. Cependant la chasse était évidemment sans espoir, le petit Feu-Follet ayant tout à souhait, comme s’il eût commandé le temps qu’il lui fallait pour montrer tous ses moyens. Ses voiles étaient amurées, bordées et plates comme des planches ; son cap d’un quart plus près au vent que celui de la frégate ; et sa route, ce qui valait encore mieux, le portait plus au vent de la pointe devant laquelle il était, tandis que la Proserpine avait tant soit peu de dérive. À l’aide de toutes ces différences, le lougre avançait de six brasses pendant que la frégate en faisait cinq ; ayant sur elle autant d’avantage en vitesse qu’il en avait à mieux tenir le vent.

Il s’en fallait d’une cinquantaine que le Feu-Follet fût le premier lougre auquel le capitaine Cuff eût donné la chasse, et il sentait l’inutilité de poursuivre un tel bâtiment dans des circonstances qui lui étaient si favorables. D’ailleurs, il était loin d’être certain qu’il chassât un bâtiment ennemi, quoique la manière dont il avait répondu à ses signaux lui eût donné des soupçons ; car il l’avait vu sortir d’un port ami. Enfin le lougre n’était qu’à quelques heures de Bastia, et toute la côte orientale de la Corse était coupée par une foule de criques, dans lesquelles un si petit bâtiment pouvait aisément se réfugier, s’il se trouvait pressé de trop près. Après avoir redoublé d’efforts pendant une demi-heure pour le gagner de vitesse en profitant de toute la force de la brise, cet officier plein d’expérience, convaincu qu’il ne réussirait pas à l’atteindre, fit donc mettre la barre au vent et brasser carré, et se dirigea vers le nord, paraissant faire route pour Livourne ou le golfe de Gênes. Quand la frégate fit ce changement dans sa marche, le lougre, qui avait viré vent devant quelque temps auparavant, était précisément sur le point d’être entièrement caché par la pointe occidentale de l’île d’Elbe, et il disparut bientôt à la vue, avec toute apparence qu’il pourrait doubler cette île sur ce bord, sans être obligé de virer de nouveau.

Il était bien naturel qu’une pareille chasse mît tout en mouvement dans une ville aussi retirée et ordinairement aussi monotone que Porto-Ferrajo. La plupart des jeunes officiers oisifs de la garnison montèrent à cheval, et galopèrent de hauteur en hauteur pour voir quel en serait le résultat ; car, quoiqu’il ne s’y trouvât pas de route régulière les montagnes étaient coupées de sentiers praticables pour des chevaux. Quant aux habitants restés dans la ville, il était tout simple qu’ils ne laissassent point échapper une si belle occasion de discourir