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plus qu’une masse de toile depuis la pomme de ses mâts jusqu’à son plat-bord. Ses voiles hautes recevant la brise au-dessus de la côte adjacente, son allure devint rapide, car ce bâtiment passait pour un des meilleurs voiliers de la marine anglaise.

Il y avait vingt minutes, d’après la montre d’Andréa Barrofaldi, que le Feu-Follet avait passé dans l’endroit où il était avec ses conseillers, quand la Proserpine arriva en face. Son plus grand tirant d’eau l’obligea à se tenir à la distance d’un demi-mille du promontoire ; mais elle en était assez près pour offrir une fort bonne occasion d’examiner sa construction et son gréement. Les artilleurs étaient alors aux batteries, et il y eut une consultation pour savoir s’il ne convenait pas de punir un bâtiment républicain d’avoir osé s’approcher ainsi d’un port toscan. Mais le pavillon anglais, — ce pavillon craint et respecté. — flottait sur ce bâtiment, et l’on ne savait pas encore bien s’il était ami ou ennemi. Rien à bord de la frégate n’annonçait la moindre appréhension, et pourtant il était évident qu’elle était en chasse d’un bâtiment qui, comme sortant d’un port toscan, avait droit à sa protection, au lieu d’être l’objet de son hostilité. En un mot, les opinions se divisèrent ; et, comme cela arrive dans des affaires de cette nature, il devint très-difficile de prendre une détermination. D’ailleurs, si la frégate était française, il était évident qu’elle n’avait cherché à commettre aucun acte d’hostilité contre l’île ; et ceux de qui il dépendait de commencer le feu savaient combien leur ville était exposée, et quel mal une seule bordée pouvait lui faire. Il en résulta donc que le petit nombre de voix qui demandaient qu’on fît feu sur la frégate, ou qui montraient les mêmes dispositions à l’égard du lougre, furent étouffées non-seulement par celles dont les opinions étaient pacifiques, mais par l’avis de l’autorité supérieure.

Pendant ce temps, la Proserpine continuait à faire force de voiles, et en dix minutes de plus elle se trouva hors de la portée des batteries de Porto-Ferrajo. Lorsqu’elle eut en vue la baie située à l’ouest de la ville, on aperçut de son pont le Feu-Follet à une bonne lieue en avant, serrant le vent au plus près, — le vent changeant dans la direction de la pointe ouest de l’île, — et glissant sur l’eau avec une vitesse qui rendait très-douteux le résultat de la chasse. Elle y persista pourtant, et au bout d’un peu plus d’une heure, depuis l’instant qu’elle avait déployé toutes ses voiles, elle était à la hauteur de l’extrémité occidentale des montagnes, quoique à plus d’un mille sous le vent. Là elle rencontra la bonne brise du sud, qui, passant entre la Corse et l’île d’Elbe, n’était plus soumise à l’influence de la terre,