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— Et le noble cavalier qui en est le commandant, — vous savez sans doute aussi quel est son nom et son rang ?

— Oh, parfaitement. C’est le fils d’un ancien amiral sous lequel j’ai servi, quoique je ne me sois jamais trouvé avec son fils. Sir Brown est son nom.

— Et c’est un nom véritablement anglais, car j’ai vu souvent ce nom honorable dans Shakspeare, et dans plusieurs autres de vos auteurs les plus distingués. Miltoni parle d’un sir Brown, si je ne me trompe, Signor.

— Plusieurs en parlent, Signor, répondit Raoul sans hésiter un instant, et sans le moindre remords. Milton, Shakspeare, Cicéron, et tous nos meilleurs écrivains parlent souvent de cette famille.

— Cicéron ! répéta Andréa au comble de la surprise ; c’était un ancien Romain, Signor, et il était mort longtemps avant que l’Angleterre fût connue dans le monde civilisé.

Raoul s’aperçut qu’il s’était avancé trop loin, mais pas assez pour perdre l’équilibre ; et il répondit avec un aplomb qui aurait fait honneur à un diplomate :

— Vous avez raison, en ce qui regarde le Cicéron dont vous parlez, signor vice-gouverneur, mais vous vous trompez pour ce qui concerne sir Cicéron, mon illustre compatriote. — Voyons ! non, il n’y a pas encore un siècle que notre Cicéron est mort. Il était né dans le Devonshire, — c’était dans ce comté que Raoul avait été en prison, — et je crois qu’il est mort à Dublin, — oui, je me le rappelle à présent, c’est à Dublin que cet auteur distingué rendit le dernier soupir.

Andréa n’avait rien à dire à cela ; car, il y a un demi-siècle, l’ignorance des nations civilisées sur un pareil sujet était si grande, qu’on aurait pu greffer un Homère sur la littérature anglaise, sans courir grand risque que l’imposture fût découverte. Le signor Barrofaldi ne fut pas très-content de voir que les barbares s’emparaient de noms italiens, mais il se plut à attribuer cette circonstance aux traces de barbarie qui étaient la suite inévitable de leur origine. Quant à croire possible qu’un homme qui parlait avec le ton de franchise et de simplicité de Raoul pût inventer une histoire en la racontant, c’était une idée qui ne pouvait même se présenter à son esprit ; et la première chose qu’il fit en rentrant chez lui fut d’écrire une note pour se souvenir, à son premier instant de loisir, de faire des recherches sur les ouvrages et la réputation de sir Cicéron, l’illustre homonyme du Cicéron romain. Quand cette courte digression fut terminée, il rentra chez lui, après avoir de nouveau exprimé l’espoir que sir Smit ne