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donc le temps qu’ils restèrent à attendre Raoul, à offrir en leurs personnes une caricature des Anglais, et à éluder les tentatives qui furent faites pour les porter à se trahir. Deux d’entre eux se promenaient en silence sur le quai, les bras croisés et les sourcils froncés, et toutes les agaceries de trois ou quatre jeunes filles qui cherchaient à s’insinuer dans leur confiance en leur offrant des fruits et des fleurs, ne purent les engager à se dérider un seul instant.

— Amico, dit Annunziate, une des plus jeunes filles de sa classe de Porto Ferrajo, et que Vito Viti avait spécialement chargée de chercher à surprendre les secrets de ces étrangers, — voici des figues d’Italie. — Voulez-vous en goûter quelques-unes, afin de pouvoir dire à vos concitoyens, quand vous serez de retour en Inghilterra. quels bons fruits nous avons dans l’île d’Elbe ?

— Vos figues ne valent rien, grommela Jacques, patron du canot de Raoul, à qui cette offre s’adressait, en parlant en mauvais anglais. — Nous en avons de meilleures chez nous. On en ramasse de plus belles dans les rues de Portsmouth.

— Mais, Signor, ne les regardez pas comme si elles allaient vous mordre ou vous empoisonner : goûtez-les seulement, et je vous donne ma parole que vous les trouverez aussi bonnes que les melons de Naples.

— Bah ! il n’y a que les melons anglais qui soient bons. Il y a en Angleterre autant de melons que de pommes de terre.

— Oui, Signor, aussi bonnes que les melons de Naples, continua Annunziate, qui n’entendait pas un mot des compliments flatteurs dont ses offres étaient suivies — Le signor Vito Viti, notre podestat, m’a donné ordre d’offrir de ces fruits aux forestieri, aux Inglesi qui sont dans la baie.

Goddam ! s’écria Jacques d’un ton bref et sentencieux qui produisit du moins, comme il le désirait, l’effet de le délivrer pour le moment des persécutions de la jolie marchande de figues.

Mais laissant à l’équipage du canot le soin de se défendre de pareilles importunités jusqu’à ce qu’il leur arrivât du secours, comme on le verra ci-après, nous suivrons notre héros à travers les rues de la ville. Guidé par un instinct secret, ou ayant quelque objet spécial devant les yeux, Raoul monta rapidement sur les hauteurs et avança jusqu’au promontoire dont il a été si souvent parlé. Partout ou il passait, tous les yeux se fixaient sur lui ; car la méfiance était alors générale dans la ville, et l’apparition d’une frégate portant le pavillon français devant le port avait fait naître des craintes beaucoup plus sérieuses que n’avait pu le faire l’arrivée d’un aussi petit bâti-