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silencieux, et observait tout ; Une leçon qu’Ithuel avait réussi à graver dans l’esprit de ses compagnons, était la nécessité de réprimer leur volubilité naturelle, s’ils voulaient passer pour Anglais. Il est vrai que, s’ils eussent cédé à leur penchant habituel, on aurait prononcé à bord de ce petit bâtiment plus de paroles en une heure qu’il ne s’en prononce en deux sur un vaisseau de guerre anglais du premier rang. Mais l’Américain leur avait tellement fait sentir le danger de parler leur propre langue, et leur avait si bien appris la réserve grondeuse des Anglais, qu’ils caricaturaient plutôt qu’ils n’imitaient ce grand talent pour le silence, qu’ils regardaient comme caractéristique chez leurs ennemis. Ithuel, qui était presque un espiègle à sa manière, souriait en voyant les matelots croiser leurs bras, prendre un air bourru et mécontent, et se promener solitairement sur le pont, comme s’ils eussent été autant de misanthropes dédaignant de converser avec leurs compagnons, toutes les fois qu’un bateau venait du rivage. Il en arriva plusieurs dans le cours des deux heures dont nous avons parlé ; mais la sentinelle placée sur le passe-avant, qui avait la consigne, ne leur permettait jamais d’aborder, et feignait de ne pas comprendre le français quand on lui en demandait la permission en cette langue.

Raoul avait un équipage de canot composé de quatre hommes qui, de même que lui, avaient appris quelque peu d’anglais pendant leur captivité sur un ponton en Angleterre. Jusqu’à présent, il avait fait peu de progrès dans l’affaire qui avait été cause qu’il s’était mis dans une position si critique, et il n’était pas homme à abandonner un projet qu’il avait tellement à cœur, à moins de nécessité absolue. Se trouvant dans l’embarras, il avait résolu de faire un effort pour tirer quelque avantage de sa situation difficile. Dès qu’il eut pris son café, il donna donc ses ordres, fit armer son canot, et s’y embarqua. Tout cela se fit avec la plus grande tranquillité, comme si l’apparition d’un bâtiment étranger au large n’eût donné d’inquiétude à personne à bord du Feu-Follet.

Le canot entra hardiment dans le petit port, et Raoul monta à terre par l’escalier ordinaire. Les matelots ne parurent pas pressés de s’en retourner. Il se promenaient sur le quai en attendant leur capitaine, faisant usage du peu d’italien qu’ils savaient pour causer avec les femmes, et affectant de mal comprendre le français des vieux loups de mer qui s’approchaient d’eux, et qui parlaient tous plus ou moins bien cette langue universelle. Leur capitaine les avait avertis qu’ils étaient en butte aux soupçons : aussi étaient-ils sur leurs gardes, et l’habitude en faisait de bons acteurs. Ils passèrent