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— Corbleu ! murmura Raoul entre ses dents ; si c’est un bâtiment anglais, Itouel, il peut lui venir en tête d’entrer ici, et peut-être de jeter l’ancre à une demi-encâblure de nous. — Que pensez-vous de cela, mon brave Américain ?

— Je pense que cela peut arriver quoiqu’on ne voie pas quel motif pourrait engager un croiseur à entrer dans un port comme celui-ci. Tout le monde n’est pas aussi curieux que le Feu-Follet.

Oui. Que diable allait-il faire dans cette galère ? — Eh bien, il faut prendre le temps comme il vient, tantôt un ouragan et tantôt un calme. — Mais puisqu’il nous a si loyalement montré son pavillon, il faut lui rendre sa politesse et lui montrer aussi le nôtre. — Hé ! de l’arrière ! — hissez le pavillon !

— Lequel, capitaine ? demanda un vieux timonier, ayant ce qui s’appelle un air en dessous, que personne n’avait jamais vu rire, et qui était chargé de cette fonction. — Le capitaine se souviendra que nous sommes entrés dans ce port sous le pavillon de M. John Bull.

— Eh bien, hissez de nouveau le pavillon de M. John Bull. Il faut payer d’effronterie, à présent que nous avons pris le masque. Monsieur le lieutenant, faites mettre du monde sur le grelin et qu’on hale dessus à courir jusqu’à ce que nous soyons à pic de l’ancre, et veillez à ce que nous soyons prêts à déployer nos mouchoirs de poche. Personne ne sait quand le Feu-Follet pourra avoir besoin de s’essuyer le visage. — Ah ! Itouel, nous pouvons voir directement son travers, à présent qu’il a le cap plus à l’ouest.

Les deux marins prirent leur longues-vues et firent un nouvel examen. Ithuel avait une singularité qui non-seulement le caractérisait personnellement lui-même, mais qui est devenue si commune parmi les Américains de sa classe, qu’elle est, dans un sens, nationale. Dans les occasions ordinaires, il était grand parleur et toujours disposé à jaser ; mais quand le moment de se décider et d’agir était arrivé, il devenait silencieux, réfléchi, et prenait même une sorte de dignité qui n’appartenait qu’à lui. Telle était son humeur en cet instant, et il attendit qu’il plût à Raoul d’entamer la conversation. Mais celui-ci était alors aussi porté à la réserve que l’Américain, et il alla chercher dans sa chambre un abri contre les éclaboussures de l’eau qu’on jetait sur le pont pour le laver.

Deux heures firent monter le soleil sur l’horizon, et amenèrent l’activité et le bourdonnement du matin ; mais il n’en était pas résulté un grand changement dans la situation relative des choses ; tant dans la baie qu’en dehors. L’équipage du Feu-Follet avait déjeuné, avait tout mis à sa place sur le petit lougre, et chacun était grave,