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ment sa vengeance. Souvent, quand il était à bord du vaisseau anglais qui avait été tant d’années comme une prison pour lui, le désespoir lui avait suggéré l’idée de faire sauter le bâtiment ; et quelque mercenaire, quelque égoïste qu’il fût habituellement, il était homme à exécuter ce projet, pour mettre fin à ses souffrances et à la vie de tous ceux qui avaient été pour lui des instruments d’oppression, s’il avait pu en trouver les moyens. Ce sujet ne se représentait jamais à son esprit sans changer momentanément le cours de ses pensées, et sans donner à ses idées une intensité d’amertume qu’il avait peine à souffrir. Enfin, poussant un profond soupir, il se leva et se tourna vers l’entrée de la baie, comme s’il eût voulu cacher à Raoul l’expression de sa physionomie. Mais à peine eut-il les yeux fixés de ce côté, qu’il tressaillit et laissa échapper une exclamation qui porta son compagnon à tourner rapidement sur le talon, et à jeter un regard vers le même point. La lumière croissante les mit tous deux en état de découvrir un objet qui ne pouvait manquer d’avoir de l’intérêt pour des hommes placés dans la situation ou ils se trouvaient.

Nous avons déjà dit que la baie profonde sur un des côtés de laquelle se trouve la ville de Porto-Ferrajo, s’ouvre du côté du nord dans la direction du promontoire de Piombino. À droite de la baie, la terre, haute mais dentelée, s’étend à plusieurs milles avant de former ce qu’on appelle le canal, tandis que sur la gauche elle se termine par la petite hauteur sur laquelle se trouve la demeure alors occupée par Andréa Barrofaldi, devenue depuis ce temps si célèbre comme ayant été la résidence d’un bien plus grand homme que le vice-gouverneur. Le havre étant placé sous ses hauteurs, à gauche de la baie et à côté de la ville, il s’ensuit naturellement que le lougre était mouillé dans cette partie de la baie d’où la vue plane au nord, dans la direction de la côte de l’Italie, aussi loin qu’elle peut atteindre. La largeur du canal ou du passage situé entre l’île d’Elbe et la pointe de Piombino peut être de six à sept milles ; et à la distance de moins d’un mille de l’extrémité septentrionale de l’île, se trouve une petite île rocailleuse qui a été connue au monde par le fait que Napoléon plaça un caporal et une escouade, comme pour en prendre possession, quand il trouva tout son empire rétréci entre quelques montagnes dont les pieds sont baignés par la mer. Raoul et Ithuel connaissaient nécessairement l’existence et la situation de cet îlot, car ils l’avaient vu et en avaient remarqué la position le soir précédent, quoiqu’ils n’eussent point fait attention qu’il n’était pas visible de l’endroit où le Feu-Follet était mouillé. Lorsqu’ils avaient jeté le matin un premier coup d’œil vers la mer, quand la clarté ne suffisait pas