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pour quelque chose, moi. Nelson n’a pas été si scrupuleux quand il a brûlé vos vaisseaux dans l’embouchure du Nil, monsieur Roule.

— Tonnerre ! pourquoi en revenez-vous toujours à ce malheureux Nil ? N’est-ce pas assez que notre escadre y ait été battue et détruite ? Faut-il encore qu’un ami vienne en parler si souvent ?

— Vous oubliez, monsieur Roule, que j’étais avec vos ennemis alors, dit Ithuel avec un sourire amer. Si vous voulez regarder mon dos, vous y verrez encore les marques des coups de verges que j’ai reçus par ordre de mon capitaine pour lui avoir dit qu’étant républicain de sentiment et de naissance, il était contre ma conscience de me battre contre d’autres républicains. Il me répondit qu’il verrait d’abord quelle était la conscience de ma peau, et que si elle ne se mettait pas d’accord avec ce qu’il appelait mon devoir, il ferait doubler la dose. Et je dois avouer qu’il l’emporta sur ma conscience, car je combattis contre vous comme un tigre plutôt que d’être fustigé deux fois en un jour. Fouetter un dos écorché n’est pas une plaisanterie.

— Mais à présent, mon pauvre Itouel, le jour de la vengeance est arrivé ; vous êtes du bon côté, et vous pouvez combattre du cœur et du bras ceux que vous haïssez tant.

Un long et sombre silence suivit. Pendant ce temps, Raoul se tourna vers l’arrière et regarda travailler les hommes qui lavaient le pont, tandis qu’Ithuel, assis sur un des montants de bittes, et le menton appuyé sur une main, réfléchissait avec amertume, comme le diable de Milton, aux injustices qu’il avait éprouvées. Les hommes réunis en corps n’ont aucune sensibilité ; ils commettent une injustice sans réflexion, et la justifient sans remords. Et cependant on peut douter qu’une nation ou un individu ait jamais commis ou toléré une injustice, sans en être punis tôt ou tard, par ce principe mystérieux de justice qui est inhérent à la nature des choses, et qui produit ses résultats, comme une herbe donne du grain, un arbre du fruit : saint arrangement qu’on a coutume, et avec raison, d’appeler la providence de Dieu. Qu’il redoute donc l’avenir, ce peuple qui, comme peuple, encourage systématiquement une injustice quelconque, puisque sa propre démoralisation s’ensuivra comme une conséquence nécessaire, quand même il échapperait à une punition plus directe.

Nous ne nous arrêterons pas à rapporter les réflexions du citoyen du New-Hampshire. Sans éducation et, à beaucoup d’égards, sans principes, il n’en voyait pas moins clairement l’injustice dont il avait été victime comme des milliers d’autres ; et en ce moment il aurait fait avec plaisir le sacrifice de sa vie pour pouvoir assouvir pleine-