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sus du plat-bord le haut des chapeaux et des bonnets de cinquante à soixante marins qui marchaient sur le pont dans tous les sens. Trois minutes après, deux hommes se montrèrent près des montants de bittes, ayant les bras croisés, jetant un coup d’œil sur l’avant du bâtiment, et examinant le port et les objets se trouvant sur la terre qui l’entourait.

Les deux individus qui se montraient ainsi en vue étaient Raoul Yvard et Ithuel Bolt. Ils causaient en français, quoique le dernier le parlât exécrablement, et sans faire aucune attention ni à la grammaire ni à la prononciation. Mais en rendant compte de cet entretien, nous appuierons sur les singularités qui appartenaient personnellement aux interlocuteurs, plutôt que sur la différence de leur langage.

— Je ne vois que l’Autrichien qui vaille la peine de faire un mouvement, dit Raoul dont les yeux parcouraient le port intérieur, son lougre étant à l’ancre à environ cent brasses en dehors ; et il n’a pas de cargaison, il nous paierait à peine les frais de l’envoyer à Toulon. Ces felouques nous embarrasseraient sans nous rapporter beaucoup de profit ; leur perte ruinerait les pauvres diables à qui elles appartiennent, et ce serait jeter bien des familles dans la misère.

— Voilà une nouvelle idée pour un corsaire, dit Ithuel en ricanant. — Le bonheur fait tout en affaires, et chacun doit calculer les chances de la guerre. Je voudrais que vous eussiez lu l’histoire de notre révolution, vous y auriez vu qu’on n’obtient pas la liberté et l’égalité sans avoir eu bien des hauts et des bas.

— L’Autrichien pourrait nous convenir s’il tirait une couple de pieds d’eau de plus, continua Raoul, qui faisait peu d’attention aux remarques de son compagnon. — Mais après tout, Itouel, car c’était ainsi qu’il prononçait toujours le nom de l’Américain, je me soucie peu d’une prise qu’on fait sans qu’il y ait aucun éclat dans l’attaque et dans la défense.

— Eh bien ! mon avis à moi, c’est que les combats les plus courts sont les plus agréables et les plus profitables, et que les plus belles victoires sont celles qui rapportent les plus fortes parts de prise. Quoi qu’il en soit, comme ce brick n’est qu’autrichien, peu m’importe ce que vous en ferez. S’il était anglais, je me mettrais dans un canot avec un bon équipage, je le prendrais à la remorque, et je le conduirais ici pour le brûler. Quel beau feu de joie fait un bâtiment anglais !

— Ce serait détruire un bâtiment, et risquer de perdre quelques-uns de vos hommes sans aucune utilité pour nous.

— Mais ce serait nuire à ces maudits Anglais, et je compte cela