Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’homme qui cherche à en opprimer ou à en renverser un autre par le moyen d’un présent, ne vaut guère mieux qu’un aristocrate anglais. — Écoutez, Philip-o, dites un mot à voix basse au squire des trois barils de tabac que nous eûmes du bâtiment de Virginie, le jour où nous vîmes la côte septentrionale de la Corse. Cela le convaincra peut-être que nous ne sommes pas ses ennemis ; mais n’allez pas brailler de manière à vous faire entendre de la femme là-bas, ou des hommes qui sont à boire dans l’autre chambre.

— Signor Ithuello, répondit le Génois en anglais, il n’est pas à propos de parler ici de ces barils de tabac. L’homme qui vous parle est le vice-gouverneur de l’île, l’autre est un magistrat, et ils feraient saisir le lougre comme contrebandier, ce qui reviendrait au même que s’il était saisi comme ennemi.

— J’ai pourtant bonne envie de garder ces sequins, pour dire la vérité, Philip-o, et je n’en vois d’autre moyen qu’à l’aide de ces barils de tabac.

— Et que ne les gardez-vous, puisque le signor vous les a mis dans la main ? Tout ce que vous avez à faire, c’est de les empocher, et de dire : Exzcellenza, que désirez-vous de moi ?

— Ce ne serait point parler en homme de Granit ; ce serait plutôt dans la nature de vous autres Italiens. Ce qu’il y a de plus ignominieux sur la terre, d’abord c’est un pauvre, — ensuite un mendiant des rues, puis ces drôles qui reçoivent des pièces de six pence ou d’un shelling par forme de pourboire, et en dernier lieu un Anglais. Je les méprise tous. Mais que le signor me dise seulement un mot de trafic, et il me trouvera prêt et disposé à tout : je défierais le diable en fait de trafic.

Filippo secoua la tête, et refusa positivement d’être assez fou pour proposer une marchandise de contrebande à des hommes dont le devoir serait de punir la violation des lois relatives aux douanes. Pendant ce temps les sequins restaient sur la table, où Bolt les avait déposés fort à contre-cœur ; et enfin, Andréa Barrofaldi, qui semblait ne savoir comment apprécier le caractère de l’être singulier que le hasard avait amené en sa présence, remit cet argent dans sa poche ; mais, en le conservant, il garda aussi sa méfiance et ses doutes.

— Répondez-moi à une chose, signor Bolto, dit-il après une minute de réflexion : si vous haïssez tant les Anglais, pourquoi êtes-vous à leur service ? Pourquoi ne les quittez-vous pas à la première occasion que vous en trouvez ? La terre est aussi grande que la mer, vous devez souvent y mettre le pied.