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d’un bâtiment. Il est bon que vous sachiez, signor squire, que j’ai tenu une école dans ma jeunesse

Non e possible ! s’écria le vice-gouverneur, l’étonnement l’emportant sur son savoir-vivre habituel. — Vous voulez dire, signor Americano, que vous donniez des leçons sur l’art de gréer et de gouverner les lougres.

— Vous ne vous êtes jamais plus trompé, Signor. J’enseignais, d’après un système général, tout ce qu’on a besoin d’apprendre par forme d’édication, et si quelqu’un de mes écoliers avait fait une bévue comme de prononcer clerk et cowcumber, je vous l’aurais puni de manière à ce qu’il s’en souvînt toute la semaine. Mais je méprise un Anglais du fin fond de mon âme, car mon cœur n’est pas assez profond pour contenir tout ce que je sens.

Quelque absurdes que les dissertations critiques d’Ithuel doivent paraître à ceux qui connaissent tant soit peu la langue anglaise, elles n’étaient guère plus ridicules que celles qu’on rencontre souvent sur le même sujet dans la littérature éphémère des États-Unis. Il avait même, dans son dernier discours, employé le verbe mépriser dans un sens qui n’est pas la véritable signification, mais qui devient si généralement adopté dans ce pays qu’il menace de la supplanter. Par mépriser il entendait haïr, et cependant la haine est de toutes les passions celle qui est la plus éloignée du mépris, car il est difficile d’élever ceux qu’on méprise au niveau nécessaire pour les haïr.

— Les Anglais ne sont pourtant pas un peuple méprisable, dit Andréa, donnant nécessairement au mot « mépriser » son sens littéral, faute d’en connaître un autre. Pour une nation du Nord, ils ont fait depuis quelques années des choses merveilleuses, et particulièrement sur l’Océan.

C’était plus qu’Ithuel n’en pouvait supporter. Tous ses griefs personnels contre les Anglais — et il faut avouer qu’ils étaient réels se représentèrent à son esprit excité et enflammé par l’animosité nationale, et il commença une longue tirade d’injures qui mit en défaut toute la connaissance que Filippo avait de la langue anglaise, et qui lui en rendit la traduction exacte impossible. Le vin qu’Ithuel avait bu, et qui avait certainement plus de corps qu’il ne lui en supposait, lui avait monté à la tête, il n’était plus en état de raisonner, et ce ne fut que son extrême violence qui l’empêcha de dire clairement des choses qui, en cette occasion, auraient pu le trahir imprudemment. Le vice-gouverneur écoutait avec la plus grande attention, dans l’espoir que, au milieu de tout ce qu’il entendait sans y rien comprendre, quelque mot pourrait lui apprendre ce qu’il désirait savoir.