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respect sans rien de cette gaucherie qu’on aurait remarquée dans un homme de sa classe, né sous un climat plus septentrional. Je suis au service du roi d’Angleterre.

Il prononça ces mots d’un ton ferme, mais il ne put s’empêcher de baisser les yeux sous le regard pénétrant du vice-gouverneur.

— Vous êtes heureux d’avoir trouvé un maître si honorable, répondit-il d’un ton froid, surtout depuis que votre pays est retombé sous le pouvoir des Français. Tout cœur italien doit prendre intérêt à un gouvernement qui à son existence et ses racines de ce côté des Alpes.

— Signor, nous sommes une république aujourd’hui, et nous l’avons toujours été, comme vous le savez.

— Oui, république telle quelle. — Mais votre compagnon ne parle pas italien ; est-il Anglais ?

— Non, Signor, il est Américain. — Une espèce d’Anglais, et qui pourtant n’est pas Anglais, après tout. Il aime fort peu l’Angleterre, si j’en puis juger par ses discours.

— Américain ! s’écria Barrofaldi. — Américain ! répéta Vito Viti. — Américain ! dirent en chœur les quatre marins attablés ensemble ; tous les yeux se tournant avec une vive curiosité vers l’individu en question, qui supporta cet examen avec calme et fermeté.

Le lecteur ne doit pas être surpris qu’un Américain fût regardé alors en Italie avec curiosité ; car, deux ans plus tard, quand un vaisseau de guerre américain jeta l’ancre tout à coup devant Constantinople, et annonça sa nation, les autorités de la Sublime Porte ignoraient encore qu’un tel pays existât. Il est vrai que Livourne commençait à être fréquenté par des bâtiments américains en 1799 ; mais, même avec ces preuves sous leurs yeux, les habitants des ports dans lesquels entraient ces bâtiments marchands, étaient habitués à en regarder les équipages comme composé d’Anglais qui les montaient pour les nègres d’Amérique[1]. En un mot, deux siècles et demi d’existence nationale, et plus d’un demi-siècle d’indépendance comme nation, n’ont pas encore suffi pour apprendre à tous les habitants de l’ancien monde que la grande république moderne est peuplée d’hommes d’origine européenne et ayant la peau blanche. Peut-être même la plupart de ceux qui sont instruits de ce fait l’ont-ils appris dans des ouvrages de littérature légère, comme celui-ci, plutôt que par une étude régulière de l’histoire.

  1. Pas plus tard qu’en 1828 j’étais à Livourne, le Delaware, vaisseau de 80 canons, venait d’en partir, et comme j’en parlais à un habitant de cette ville, qui me supposait Anglais, je lui dis : — Tout équipage était sans doute noir ? — Je le croyais ainsi, signor, me répondit-il, jusqu’à ce que j’eusse été à bord ; mais ils étaient aussi blancs que vous et moi. (Note de M. Cooper.)