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qu’Ithuel, en ce moment, porta à sa bouche le goulot du flacon, par suite de son habitude invétérée de boire à même les pots et les bouteilles, il ne répondit rien, et resta les yeux fixés sur le flacon, qui par la longueur du temps qu’il fut appliqué à la bouche de l’Américain, paraissait en grand danger d’être vidé ; affaire de quelque importance pour un homme qui aimait le vin comme Filippo.

— Appelez-vous cela du vin ? s’écria Ithuel quand il s’arrêta pour reprendre haleine ; il ne s’y trouve pas autant de granit dans un gallon que dans une pinte de notre cidre. J’en pourrais avaler un tonneau, et marcher ensuite sur une planche aussi étroite que votre religion, Philip-o.

Il parlait pourtant ainsi avec un air de bonheur qui prouvait que l’homme intérieur avait reçu des consolations abondantes, et l’expression de sa bouche annonçait qu’elle avait été le canal d’une communication agréable à son estomac. Pour dire la vérité, Benedetta lui avait servi du vin semblable à celui qu’elle avait placé devant le vice-gouverneur, et la saveur en flattait si agréablement le palais, qu’Ithuel ne se doutait guère de la force de l’hôte qu’il venait de recevoir dans son intérieur.

Pendant ce temps, le vice-gouverneur cherchait à fixer ses idées sur le pays et le caractère de cet étranger. Il était assez naturel qu’il prît Bolt pour un Anglais, et ce fait eut quelque influence pour le faire revenir à l’opinion que le lougre naviguait réellement sous pavillon anglais. Comme la plupart des Italiens de ce temps, il regardait toutes les grandes familles issues des hordes du nord comme des espèces de barbares, opinion que l’air et les manières d’Ithuel n’étaient pas propres à changer ; car, quoique cet être singulier ne fût pas bruyant, vulgaire et grossier, comme les Italiens de la basse classe avec lesquels le vice-gouverneur avait pu quelquefois se trouver en contact, néanmoins il était si évidemment incivilisé sur bien des points essentiels, qu’on ne pouvait supposer qu’il fût né dans une classe respectable de la société.

— Vous êtes Génois ? dit-il à Filippo du ton d’un homme qui avait le droit de l’interroger.

— Oui, Signor, et aux ordres de Votre Excellence, quoique je sois engagé en ce moment dans un service étranger.

— Dans quel service, l’ami ? Parlez ! je suis un des dépositaires de l’autorité dans cette île, et je ne fais que mon devoir en vous adressant cette question.

— Cela est facile à croire, Excellence ; il ne faut que vous voir pour en être sûr, répondit Filippo en se levant, et le saluant avec