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— N’est-ce pas la même chose en Amérique, signor Bolto ? demanda le Génois après avoir expliqué à Benedetta en italien ce qu’il désirait ; n’est-ce pas la mode dans votre pays d’honorer les saints ?

— D’honorer les saints ! s’écria Ithuel en jetant un coup d’œil autour de lui avec un air de curiosité ; et s’asseyant devant une troisième table, il repoussa les verres, et il se mit à ranger tout ce qui était à sa portée, suivant les idées d’ordre qui lui étaient particulières. Puis, s’appuyant sur le dossier de sa chaise de manière à en soulever les pieds de devant, tandis que ceux de derrière craquaient sous le poids de son corps, il répéta : D’honorer les saints ! et pourquoi les honorerait-on ? Un saint n’est qu’un homme, un homme comme vous et moi. Il ne manque pas de saints dans mon pays, si l’on veut croire ce que certaines gens disent d’eux-mêmes.

— Ce n’est pas tout à fait cela, signor Bolto. Vous et moi, nous ne sommes pas de grands saints. Les Italiens honorent les saints parce qu’ils ont été des hommes qui ont mené une vie sainte et vertueuse.

Pendant qu’il parlait ainsi, Ithuel avait placé ses deux pieds sur le bord de son siège, ses genoux écartés l’un de l’autre de manière à occuper autant d’espace que le permettaient deux jambes d’une grandeur peu ordinaire, et ses bras appuyés sur deux chaises placées à chaque côté de lui, de sorte qu’il ressemblait à ce qu’on appelle en blason un aigle écartelé.

Andréa Barrofaldi regardait tout cela avec surprise. Il est vrai qu’il ne s’attendait pas à trouver des hommes distingués dans un cabaret semblable à celui de Benedetta ; mais il n’était pas accoutumé à voir un tel air de nonchalance dans un homme de la classe de cet étranger, ni de quelque autre classe que ce fût ; les quatre marins italiens étaient assis dans une attitude respectueuse, comme si chacun eût voulu faire songer à lui le moins possible. Cependant il ne laissa échapper aucun signe d’étonnement, et se borna à examiner tout ce qui se passait, d’un air grave et attentif, mais en silence. Peut-être y voyait-il des traces de particularités nationales, sinon des traits historiques.

— Honorer les saints parce qu’ils ont mené une vie sainte et vertueuse ! dit Ithuel Bolt avec un air de dédain qu’il ne cherchait pas à cacher ; c’est précisément pourquoi nous ne les honorons point. Quand vous honorez un saint, on peut s’imaginer que vous l’adorez ; ce qui serait une idolâtrie et le plus grand de tous les péchés. J’aimerais mieux honorer ce flacon de vin que le meilleur des saints qui soient sur votre calendrier.

Comme Filippo était un simple croyant, et non un casuiste, et