Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/412

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je conviens, Cuff, répondit-il, qu’il paraît un peu dur de laisser un pauvre diable douze à quinze ans sans avancement. J’avais une dizaine d’années de moins que ce M. Clinch quand je fus nommé capitaine. — Oui, cela paraît dur, et pourtant je ne doute guère que cela ne soit juste : j’ai rarement vu un midshipman ou un aide-master oublié si longtemps de cette manière, sans qu’il l’eût mérité par quelque grand défaut. — Nous devons, avant tout, songer au bien du service, Cuff.

— Je conviens de tout cela, Milord ; j’espérais pourtant que sa conduite récente pourrait faire oublier son faible.

— S’il y a des raisons pour l’oublier, je les entendrai volontiers.

Cuff lui raconta alors toute l’histoire de Clinch, et il eut grand soin d’y faire entrer l’épisode de Jane. C’était une corde qui vibrait toujours dans l’esprit de Nelson, et l’avancement de Clinch était déjà décidé avant que le capitaine eût terminé son récit. L’amiral envoya ordre à son secrétaire de préparer la commission de Clinch, et Cuff eut le plaisir de l’emporter dans sa poche quand il retourna sur son bord. L’amirauté confirma toutes les nominations faites par Nelson, et Clinch devint ainsi troisième lieutenant de la Proserpine. Cette promotion le fit redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être ; il devint un modèle de tempérance, donna plus de soin à sa mise, et en moins de six mois il gagna l’estime et l’affection de tous les officiers. Au bout d’un an, la Proserpine fut envoyée en Angleterre, et la bonne Jane fut enfin récompensée de sa constance en devenant mistress Clinch. Mais Cuff ne borna pas là ses bons offices. Il réussit à obtenir pour Clinch le commandement d’un cutter, et celui-ci ayant pris, au bout d’un mois, un bâtiment corsaire, après un combat dont le succès fut chaudement disputé, il fut nommé commandant d’un brick. Il fut encore plus heureux à bord de ce bâtiment ; car ayant attaqué, pendant un calme, avec ses canots, une belle corvette française, il s’en rendit maître à l’abordage. Il est vrai qu’elle n’avait que la moitié du nombre d’hommes qu’il lui aurait fallu pour que son équipage fût au complet, mais ce n’en était pas moins une excellente prise, et on lui en donna le commandement pour récompense. Tout cela se passa en moins de trois ans après sa nomination au grade de troisième lieutenant. Quelques années après, ayant fait plusieurs autres prises pendant une longue croisière, et ayant capturé une forte corvette, il fut nommé capitaine de corvette[1]. — Depuis ce temps, nous l’avons perdu de vue.

  1. Commander Il n’y a point de grade de capitaine de frégate en Angleterre ; après le grade de commander on devient capitaine de vaisseau.