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de l’âme, qui avaient si longtemps réfléchi la tendresse et l’amour, et qui étaient maintenant ternes et sans expression, et elle fut dans la situation de l’avare qui ne retrouve plus son trésor où il l’avait secrètement placé.

Pendant tout le reste de la nuit, Ghita veilla près du corps de son amant, tantôt penchée sur lui avec une tendresse que rien ne pouvait affaiblir, tantôt assiégeant le ciel de ses prières. Personne ne s’éveilla pour l’interrompre au milieu du bonheur étrange qu’elle goûtait en s’acquittant de ce pieux devoir, ou pour blesser sa sensibilité par un air de surprise, ou par les sarcasmes d’un esprit grossier et vulgaire. Avant que le jour parût, elle ferma les yeux de Raoul de ses propres mains, lui couvrit le corps d’un drapeau français qu’elle trouva sur le rocher, et s’assit près de lui, image de la patience et de la résignation, attendant le moment où d’autres mains viendraient la remplacer pour les derniers soins à donner à ses restes. Comme catholique, elle trouvait une sainte consolation dans cette partie sublime de la croyance de son église qui consiste à prier pour les morts.

Winchester fut le premier qui s’éveilla. En ouvrant les yeux, il parut surpris de la situation dans laquelle il se trouvait ; mais un regard jeté autour de lui lui rappela tout ce qui s’était passé. Il s’avança vers Ghita pour lui demander des nouvelles de Raoul ; mais, frappé de l’expression de sa physionomie, il jeta un coup d’œil vers le lit, et la vue du drapeau qui couvrait le corps du défunt lui apprit la vérité. Ce n’était pas le temps de se reprocher d’avoir trop dormi, ou d’adresser le même reproche à d’autres ; il se contenta d’éveiller sans bruit tous ses compagnons, et ils se levèrent avec le même silence et le même respect que s’ils eussent été dans une chapelle.

Carlo Giuntotardi demanda alors aux vainqueurs le corps du défunt, et Winchester ne vit aucune raison pour le lui refuser. On le plaça sur un canot, et on le transporta à terre, où tous ceux qui restaient sur le rocher l’accompagnèrent. Environ une heure après leur départ, le sirocco arriva, armé de toute sa force, poussa les vagues de la mer par-dessus l’îlot aux ruines, et quand elles se furent retirées, il n’y restait aucune trace du sang qui y avait été répandu, ni le moindre vestige qui rappelât le Feu-Follet et les événements qui venaient de se passer.

En arrivant aux pieds du Scaricatojo, les matelots formant l’équipage du gig de Winchester construisirent une espèce de civière sur laquelle ils placèrent le corps du défunt, et, ne voulant pas laisser cette œuvre de charité imparfaite, ils le portèrent eux-mêmes jusqu’à la demeure de la sœur de Carlo Giuntotardi. Le cortège qui les