Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plés comme le nôtre, et auxquels la terre ne paraît qu’une étoile, qui n’est même pas de la première grandeur ?

— Et qu’est-ce que tout cela, Raoul, comparé au pouvoir et à la majesté de l’être qui a créé l’univers ? Oubliez tout ce qui n’est que l’ouvrage de sa main, et ne songez plus qu’au créateur.

— Avez-vous jamais entendu dire que l’esprit de l’homme a su inventer des instruments à l’aide desquels il est en état non-seulement de suivre les mouvements de tous ces mondes, mais même d’en calculer la marche pendant des siècles à venir ?

— Et savez-vous, Raoul, ce que c’est que cet esprit de l’homme ?

— C’est une partie de sa nature, — sa plus haute qualité, — ce qui le rend le maître de la terre.

— Cela est vrai dans un sens ; mais, après tout, l’esprit de l’homme n’est qu’un bien faible fragment, — un atome presque imperceptible, — détaché de l’esprit de Dieu, et c’est en ce sens qu’on dit que l’homme a été fait à l’image de son créateur.

— Vous croyez donc que l’homme est Dieu, Ghita ?

— Raoul, Raoul ! si vous ne voulez pas me voir mourir avec vous, n’interprétez pas ainsi mes paroles !

— Vous paraîtrait-il donc si dur de quitter la vie avec moi, Ghita ? Ce serait pour moi le bonheur suprême, si nous changions de place ensemble.

— Pour aller où ? — Avez-vous songé à cela, cher Raoul ?

Raoul ne lui répondit rien. Ses yeux étaient comme fascinés par une étoile qui lui paraissait briller d’un éclat extraordinaire, tandis que des pensées nouvelles pour lui roulaient en tumulte dans son esprit. Il y a dans la vie de chaque homme des instants où la vue mentale devient plus perçante que celle du corps, et où la première tire des conclusions plus justes sur le passé et sur l’avenir, comme il y a des jours où une atmosphère plus pure que de coutume abandonne plus aisément aux organes physiques les objets qui sont de leur ressort, et laisse momentanément l’esprit maître absolu de ce qui s’élève au-dessus de leur portée. Un de ces rayons de vérité brilla à l’esprit du mourant, et ce ne put être sans porter quelques fruits. Raoul se sentit agité par de nouvelles émotions.

— Vos prêtres, Ghita, lui-demanda-t-il, pensent-ils que ceux qui se sont connus et qui se sont aimés dans ce monde se reconnaîtront et s’aimeront encore dans celui qu’ils disent devoir lui succéder ?

— Le monde qui est à venir, Raoul, sera tout amour ou tout haine. Je tâche d’espérer que nous nous y reconnaîtrons, et je ne