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née de triomphe, tu as du moins échappé à ces Anglais ! Ils ne te compteront pas dans le nombre de leurs victimes ! Ils ne te forceront pas à les servir contre ton pays !

Un frisson glacial serra le cœur de Ghita. Elle retomba sur son siège, les yeux fixés sur son amant avec un sentiment profond de désespoir, quoique son cœur fût encore le foyer d’une tendresse inextinguible. Raoul entendit le léger bruit du mouvement qu’elle fit, tourna la tête de son côté, et la regarda avec des yeux brillant de presque autant d’admiration que dans des moments plus heureux.

— Tout est pour le mieux, Ghita, dit-il ; j’aime mieux mourir que vivre sans vous. Le destin m’a favorisé en terminant ainsi ma carrière.

— Ô Raoul ! il n’y a d’autre destin que la sainte volonté de Dieu. Ne vous abusez pas dans ce moment terrible ; humiliez la fierté de votre esprit, et implorez le secours du ciel.

— Pauvre Ghita ! votre esprit innocent n’est pas le seul, à des millions près, dont les prêtres se soient emparés ; et je suppose que ce qui a eu lieu depuis le commencement des choses durera jusqu’à la fin.

— Dieu est le commencement et la fin, Raoul. — Dès le commencement des temps, il a établi les lois qui ont amené toutes les épreuves de votre vie, ainsi que l’amertume du moment actuel.

— Et croyez-vous qu’il vous pardonnera votre tendresse pour un homme tel que moi ?

Ghita baissa la tête vers le matelas sur lequel elle s’appuyait, et se couvrit le visage des deux mains. Après avoir passé deux minutes en prières, elle releva la tête, et ses joues étaient brûlantes du feu de l’amour tempéré par l’innocence. Raoul était toujours couché sur le dos, les yeux encore fixés sur la voûte du ciel. La profession qu’il avait embrassée l’avait conduit à étudier l’astronomie avec plus de soin qu’on n’aurait pu l’attendre de son éducation un peu négligée ; et, habitué qu’il était à réfléchir, les faits que cette science lui avait appris avaient fait impression sur son imagination, quoiqu’ils n’eussent pu toucher son cœur. Jusqu’alors, il était tombé dans l’erreur commune à ceux qui se livrent à des recherches trop limitées ; et en suivant les lumières d’une raison égarée, il avait trouvé la confirmation de ses doutes. Le moment terrible qui était si prochain ne pouvait pourtant manquer d’avoir de l’influence sur lui ; et cet avenir inconnu, suspendu, en quelque sorte, par un cheveu sur sa tête, le portait inévitablement à penser à un Dieu qui lui était également inconnu.

— Savez-vous, Ghita, dit-il, que les savants en France nous disent que toutes ces étoiles brillantes sont des mondes probablement peu-