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Raoul et Ghita étaient donc seuls. Le premier était couché sur le dos, la tête appuyée sur un traversin, et les yeux fixés sur la voûte du ciel. Il ne souffrait plus, mais sa vie s’écoulait rapidement. Il conservait pourtant encore toute sa force d’esprit, et son imagination était aussi active que jamais. Son cœur était toujours plein de Ghita, quoique sa situation extraordinaire, et surtout la vue glorieuse qu’il avait devant les yeux, mêlassent à ses sentiments pour elle certains tableaux de l’avenir qui produisaient sur lui une impression aussi nouvelle qu’elle était forte.

Il en était autrement de Ghita. Comme femme, elle avait été frappée d’un coup subit dont il lui fut difficile de supporter la violence ; et cependant elle remerciait Dieu d’avoir permis qu’elle fût présente quand ce malheur était arrivé, et de lui avoir ainsi laissé la faculté d’agir et la consolation de prier. Dire qu’elle ne continuait pas à sentir pour Raoul cette intensité d’amour et toute cette tendresse qui font partie des principaux éléments de la nature d’une femme, ce serait manquer à la vérité ; mais elle le considérait déjà comme n’appartenant plus à ce monde, et toutes ses pensées se concentraient sur le nouvel état d’existence qui allait commencer pour lui.

Un assez long intervalle de silence avait eu lieu, et pendant ce temps les yeux de Raoul avaient toujours été attachés sur la voûte étoilée qui le couvrait.

— Ghita, dit il enfin, n’est-il pas remarquable que moi, Raoul Yvard, — corsaire — habitué aux combats et aux tempêtes, — aux dangers et aux vicissitudes de la guerre et des éléments, — je sois ici, mourant sur ce rocher, avec tous ces astres me regardant, et me souriant, en quelque sorte, du haut de votre ciel ?

— Et pourquoi pas du vôtre comme du mien, Raoul ? répondit-elle d’une voix tremblante. Son immensité ressemble à celle de l’être dont il est le séjour, dont il est le trône ; et il peut contenir tous ceux qui aiment Dieu et qui implorent sa merci.

— Croyez-vous donc qu’il recevrait en sa présence un homme tel que moi ?

— N’en doutez pas. Aussi bon qu’il est parfait, il se plaît à pardonner au pécheur contrit et repentant. — Ah ! cher Raoul, si vous vouliez seulement lui adresser une prière !

Un sourire presque joyeux anima un instant les traits du mourant ; et Ghita, se livrant à l’espoir d’avoir fait impression sur lui, se leva et se pencha sur lui pour mieux écouter ce qu’il allait dire.

— Mon Feu-Follet ! s’écria Raoul, sa bouche laissant échapper la pensée secrète qui avait donné à ses traits une expression momenta-