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un motif suffisant pour en refuser la réparation ; tandis que le poids de la responsabilité morale se divise sur un trop grand nombre d’individus pour en faire un sujet d’intérêt aux citoyens pris isolément. Cependant, la vérité nous démontre que personne n’est placé assez bas pour qu’il ne puisse devenir dangereux pour celui qui est le plus élevé ; et les états puissants eux-mêmes manquent rarement d’essuyer un châtiment chaque fois qu’ils s’écartent de la justice. Il semblerait dans le fait qu’il règne dans la nature un principe qui rend impossible à l’homme d’éviter, même en cette vie, les suites de ses mauvaises actions ; comme si Dieu avait voulu, dès l’origine des choses humaines, que la vérité dominât universellement, et que la chute du mensonge fût infaillible, le succès du méchant n’étant jamais que temporaire, tandis que le triomphe du juste est éternel. Pour appliquer ces considérations à ce qui se passe plus immédiatement sous nos yeux, je dirai que la pratique de la presse, dans son temps, a fait naître, parmi les marins des autres nations aussi bien que parmi ceux de la Grande-Bretagne, un sentiment qui a peut-être contribué autant qu’aucune autre cause à détruire le prestige qui faisait regarder cette puissance comme invincible sur mer, quoique ce prestige fût appuyé sur une vaste force. Il fallait voir le sentiment de haine et d’indignation auquel donna naissance la pratique de ce pouvoir despotique, surtout parmi ceux qui sentaient que leur naissance dans un autre pays aurait dû les mettre à l’abri de cet abus de la force brutale, pour bien apprécier quelles pouvaient en être les suites. Ithuel Bolt, le marin dont il vient d’être parlé, offre une preuve, en petit, du mal que peut faire le plus humble individu quand son esprit se livre exclusivement à la soif de la vengeance ; Ghita le connaissait bien ; et quoiqu’elle n’aimât ni son caractère ni sa personne, elle avait ri bien des fois malgré elle en entendant le récit des ruses qu’il avait employées contre les Anglais, et les mille moyens qu’il avait inventés pour leur nuire : elle pensa donc sur-le-champ qu’il n’avait pas eu peu de part au travestissement du Feu-Follet en Wing and Wing.

— Vous n’appelez pas ouvertement votre lougre le Feu-Follet, Raoul ? dit Ghita après un moment de silence ; ce serait un nom dangereux à prononcer, même à Porto-Ferrajo. Il n’y a pas une semaine que j’entendis un marin parler des déprédations commises par ce lougre, et insister sur les motifs qui doivent le faire détester par tout bon Italien. Il est heureux que cet homme soit en voyage, car il n’aurait pu manquer de le reconnaître.

— C’est ce dont je ne suis nullement sûr, Ghita. Nous déguisons