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sous le vent. Là elle vira vent devant, s’avança à une distance suffisante au sud-ouest, vira de nouveau, présenta le cap à l’est sud-est, et se crut sur la ligne que ce bâtiment avait suivie, mais on n’en découvrit aucune trace. Le lougre et son équipage, ses canons et sa voilure, la mer avait tout englouti. On supposa que, comme une bonne partie de ses approvisionnements avaient été laissés sur les rochers, il n’était resté à bord rien d’assez léger pour flotter sur l’eau. Il n’y avait aucun canot à bord, tous étant restés à l’îlot aux ruines ; et si quelque marin avait cherché à sauver sa vie à la nage au milieu des flots courroucés, il n’avait pu la leur disputer longtemps, et les Anglais ne l’avaient point aperçu. D’ailleurs, il était possible que ceux-ci n’eussent pas bien calculé leur distance, et qu’ils eussent passé à une encâblure de l’endroit où quelque victime luttait peut-être encore contre les vagues.

Cuff et tous ceux qui l’entouraient furent frappés d’une calamité si cruelle et si inattendue. La perte d’un bâtiment dans de pareilles circonstances produit parmi les marins le même effet qu’une mort subite dans une famille. C’est un destin qui peut arriver à tous, et cette réflexion inspire la mélancolie. Cependant les Anglais ne renoncèrent pas sur-le-champ à l’espoir de sauver quelque malheureux accroché à un mât ou à une vergue, ou faisant des efforts surnaturels pour se soutenir sur l’eau. Ce ne fut qu’à midi que la frégate quitta ces parages pour retourner à Naples. Mais elle fut détournée de sa route par une autre chasse, qui fut assez longue, mais qui se termina plus heureusement, car elle prit une corvette ennemie qu’elle conduisit à Naples quelques jours après.

Le premier soin de Cuff, après avoir jeté l’ancre dans la baie de Naples, fut de se rendre à bord du Foudroyant pour annoncer son arrivée à Nelson. Le contre-amiral ne savait encore que ce qui s’était passé dans les ruines, et la séparation des trois bâtiments.

— Eh bien, Cuff, dit-il en lui présentant la main qui lui restait, dès que le capitaine entra dans sa chambre, le lougre nous a encore échappé après tout ? En somme, c’est une mauvaise affaire, mais il faut nous en contenter. Ou croyez-vous qu’il soit à présent ?

Cuff lui fit le détail de tout ce qui s’était passé relativement au Feu-Follet, et lui remit le rapport officiel de la prise qu’il venait de faire. De ces deux nouvelles, la seconde fit plaisir à Nelson, et la première le surprit. Après quelques minutes de réflexion, il entra dans sa chambre de l’arrière, et en revint tenant en main un petit pavillon, souillé et déchiré, mais encore entier.

— Voyez ceci, lui dit-il ; comme Lyon terminait sa croisière, et