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par commettre une faute très-importante. S’il avait fortifié son centre en réunissant ses trois caronades de manière à en former en quelque sorte une batterie, les chances du succès auraient pu être douteuses ; mais, en les divisant, il en avait affaibli l’effet de manière à rendre impossible qu’aucune des trois batteries françaises pût être complétement désemparée par leur feu. Il en résultait que les Anglais, en s’avançant pour livrer un combat corps à corps, auraient le désavantage d’être exposés à une grêle constante de mitraille.

Le peu de minutes qui s’écoulèrent entre l’ordre donné d’avancer, et le moment où les canots arrivèrent à un quart de mille de l’îlot aux ruines, se passèrent dans un profond repos, aucune des deux parties ne paraissant vouloir engager le combat : Raoul ne trouva pourtant pas peu de difficultés à retenir l’ardeur impatiente de ses compagnons français. Mais un canot présente un but si restreint à des artilleurs aussi peu habiles que le sont en général les marins, qui comptent sur la pratique et l’habitude plus que sur les calculs scientifiques, et sont ordinairement déconcertés par le mouvement de leurs bâtiments, qu’il ne voulait pas perdre inutilement même sa mitraille. Cependant, Français lui-même, il ne put se contenir plus longtemps, et pointant une caronade il mit le feu à l’amorce de ses propres mains. Ce fut le commencement du combat. Les trois autres canons des ruines firent feu aussitôt, et ceux du lougre en firent autant. Alors les Anglais se levèrent, poussèrent trois acclamations, et tirèrent leurs trois coups de caronade. Au même instant, les deux hommes qui tenaient les mèches allumées à bord de la felouque voulurent toucher l’amorce des leurs, mais il n’y eut point d’explosion, et, quand ils en cherchèrent la cause, ils virent que l’amorce en avait été retirée. C’était Ithuel qui avait adroitement privé ces deux pièces d’artillerie de ce qui en faisait la force ; il avait eu soin de se mettre en possession des deux cornes d’amorce, et il déclara positivement que nul autre que lui n’y toucherait.

Il fut heureux pour l’Américain qu’il fût universellement connu pour avoir voué une haine mortelle aux Anglais, sans quoi il aurait pu payer de sa vie cette apparence de trahison. Il était pourtant bien éloigné de vouloir manquer ainsi à ses devoirs. Sachant parfaitement qu’il lui serait impossible d’empêcher ses hommes de faire feu, s’ils en avaient le moyen, il avait eu recours à cet expédient pour se réserver la faculté de le faire à l’instant qu’il jugerait le plus propice. Ses hommes murmurèrent ; mais ne voulant pas entrer en discussion avec leur commandant, ils firent une décharge spontanée de tous leurs mousquets, seul moyen qui leur restât de prouver à l’ennemi