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C’était un succès, c’était un triomphe, et cela dans un moment où les esprits les moins portés au découragement conservaient à peine une ombre d’espérance. Tous les matelots s’embrassaient les uns les autres avec cent démonstrations d’une joie presque extravagante. Les larmes vinrent aux yeux de Raoul, et il ne put les cacher, car tous ses officiers se pressaient autour de lui pour le féliciter. Ces transports duraient depuis deux ou trois minutes, quand Ithuel, toujours froid, impassible se fit jour à travers la foule pour arriver près de son capitaine, et étendit de suite un bras d’un air expressif dans la direction de Campanella. On voyait dans le lointain, de ce côté, les canots qu’on attendait : ils venaient de doubler la pointe, et ils avançaient vers les rochers.

Le geste d’Ithuel en disait assez pour attirer l’attention générale, et tous les yeux se dirigèrent vers le point qu’il indiquait. On ne pouvait se méprendre à ce qu’on y voyait, et cette vue changea tout à coup le cours des idées de tous les spectateurs. Il ne restait aucun doute sur la manière dont la nouvelle de l’accident était arrivée à Capri et sur l’effet qu’elle avait produit sur les Anglais. Dans le fait, le patron de la felouque capturée, animé par le désir de recouvrer son bâtiment, après avoir débarqué à la Marinella, avait gravi le Scaricatojo, avait couru, aussi vite que ses jambes avaient pu le porter, par les sentiers de la plaine, jusqu’à Sorrente, y avait pris un bateau monté par quatre vigoureux bateliers, — et l’univers n’en connaît pas de plus vigoureux ni de plus hardis, et il s’était fait conduire à Capri. Le premier vaisseau qu’il rencontra à la hauteur de cette île fut la Terpsichore, et ne sachant pas qui était le commandant en chef des trois bâtiments, il monta à bord, et fit part à sir Frédéric Dashwood de ce qui venait de se passer. Le jeune baronnet, sans être bien instruit, ni très-expérimenté de sa profession, était fort disposé à chercher à se distinguer, et il crut que c’était une bonne occasion de cueillir quelques lauriers. Des trois capitaines, il était le second par ancienneté, et d’après ce droit il pensait que le premier ne pouvait se dispenser de lui confier le commandement de l’expédition qu’il prévoyait avec raison que Cuff enverrait contre les Français. Il s’éleva pourtant une difficulté. Lorsqu’il eut fait part à Cuff de la nouvelle qu’il venait d’apprendre, et du désir qu’il avait d’avoir le commandement de l’expédition qui allait partir, Winchester intervint, et fit aussi valoir ses droits comme premier lieutenant du plus ancien capitaine. Cuff ordonna sur-le-champ qu’on armât deux canots à bord de chaque vaisseau, et régla tous les détails de l’affaire ; mais il lui fallut plus de temps pour décider qui commanderait l’expédi-