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glais à l’ancre à la hauteur de Capri ; si cela était, il avait encore devant lui tout le reste de la journée, et il pourrait se retirer à la faveur de la nuit. Dans tous les cas, il n’abandonnerait pas le Feu-Follet sans avoir un ennemi en vue, et il appela encore une fois tout l’équipage aux barres du cabestan.

Raoul Yvard sentit que c’était le dernier effort. La cale du lougre était littéralement vide. On voyait flotter parmi les rochers tous les mâts et toutes les vergues de rechange. Comme on pouvait trouver de l’eau partout sur la côte, et que l’île de Corse était à peu de distance, on avait jeté à la mer jusqu’à la dernière barrique d’eau ; si donc on ne pouvait le relever en ce moment, toute autre tentative devenait inutile. L’ancre tenait, le câble avait résisté au dernier degré de tension, et tout l’équipage, à l’exception du capitaine seul, avait les mains sur les barres. Les lames de fond avaient graduellement diminué de force pendant toute la matinée ; mais, quelque faible que fût l’aide qu’on pouvait en attendre, on en avait besoin, sans quoi la tâche paraissait impossible.

— Soyez prêts, mes enfants, s’écria Raoul en se promenant près du couronnement, et virez dès que j’en donnerai l’ordre. Nous attendrons une lame de fond, et alors déployez toutes vos forces, jusqu’à ce que vous obteniez un effet quelconque. — Pas encore, mes enfants, pas encore ! — Patience ! — Ah ! en voici une qui nous soulèvera. — Virez, à présent ! — Plus fort ! — Virez de corps et d’âme ! — Virez tous ensemble.

Tous obéirent à leur capitaine. Ils virèrent d’abord doucement, ils y mirent ensuite plus de force, et quand la lame s’éleva sous le bâtiment, ils firent les derniers efforts ; et pour la première fois le Feu-Follet fit un mouvement. C’était peu de chose, il ne s’était relevé que de six pouces, mais c’était dans la bonne direction, et ce fut pour eux un encouragement — un encouragement qui, à l’arrivée de la lame suivante donnerait à leurs muscles encore plus de force. Raoul vit l’impression qu’avait faite sur eux ce commencement de succès, et il ne voulut pas laisser leur ardeur se refroidir.

— Encore un effort, mes enfants ! s’écria-t-il. — Attention ! — Voici le moment ! — Virez ! Virez à arracher les bordages ! — Virez, mes enfants, virez !

Pour cette fois leurs efforts furent proportionnés à l’occasion qui les exigeait. La lame arriva ; ils sentirent qu’elle soulevait le bâtiment ; un effort terrible et simultané la seconda, et le Feu-Follet, quittant son lit de rochers, se trouva sur une eau profonde, et il eut bientôt rejoint son ancre.