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transportés à bord de la felouque, avant qu’on commençât à s’occuper de retirer le lougre. Plusieurs rochers avaient aussi été couverts de tonneaux, de caisses, de cordages, de lest, et de tout ce qu’on avait pu y porter, — à l’exception des armes et des munitions ; car Raoul les conservait avec un soin religieux, étant secrètement bien décidé à se défendre jusqu’à la dernière extrémité. Il n’y avait pourtant aucune apparence que cette nécessité arrivât, et les officiers commençaient se flatter qu’ils seraient en état de remettre leur bâtiment à flot avant l’arrivée de la brise ordinaire de l’après-midi. En attendant la felouque, et pour que le travail n’éprouvât ensuite aucune interruption, Raoul ordonna qu’on fît déjeuner l’équipage.

Ce moment de repos lui donna le loisir de regarder autour de lui et de réfléchir. Ses yeux se tournèrent vingt fois vers les hauteurs de Santa-Agata, qui avaient un grande attrait pour lui, et qui lui offraient en même temps un sujet d’inquiétude. Il est presque inutile de dire que l’attrait qui y attirait ses yeux était l’image de Ghita, toujours présente à son esprit ; mais son inquiétude avait pour cause la crainte que quelque curieux n’eût reconnu son lougre, et n’eût voulu faire connaître aux bâtiments anglais qu’on savait à l’ancre à la hauteur de Capri, seulement à une lieue ou deux de l’autre côté des hauteurs, dans quelle position il se trouvait alors. Mais la matinée n’était pas avancée ; tout paraissait tranquille de ce côté, et, le lougre étant à peine visible quand toutes ses voiles étaient amenées, il y avait lieu d’espérer que personne ne s’était encore aperçu de l’accident qu’il avait éprouvé. L’approche de la felouque le ferait pourtant peut-être découvrir, quoique Ithuel eût pris la précaution de ne hisser aucun pavillon.

Raoul Yvard était en ce moment de loisir et de repos, tout différent de ce qu’il avait été quelques heures auparavant. Alors il marchait sur le pont de son petit lougre, la tête haute, en homme fier de sa force et de sa jeunesse ; en ce moment, il avait la tête penchée sur sa poitrine, et réfléchissait comme ceux qui viennent d’éprouver un malheur ou un revers. Néanmoins, il n’avait rien perdu de son caractère entreprenant et chevaleresque ; et, assis sur le couronnement de son Feu-Follet échoué, il méditait le projet d’emporter quelque bon bâtiment anglais à l’abordage et par surprise, s’il ne réussissait pas à dégager le lougre. La felouque lui fournirait le moyen de faire cette tentative, et son équipage était assez nombreux et assez brave pour qu’elle pût réussir.

Il songeait encore à cet expédient, quand Ithuel, obéissant à un ordre qui lui fut transmis par un porte-voix, plaça sa prise bord à bord