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pour supposer que ses discours n’étaient qu’un jeu. L’entretien qu’il venait d’avoir cette nuit avec elle, pesait sur le cœur du jeune Français, et il lui était impossible de s’armer d’assez de résolution pour consentir à se séparer d’elle, — peut-être pour plusieurs mois, — après une apparence de rupture entre eux.

Dès qu’on fut certain que le lougre était assez loin pour ne pouvoir plus être vu de Clinch, on remit au plus près, bâbord amures, et le cap fut tourné vers les ruines célèbres de Pestum, sur la côte orientale de la baie de Salerne. Un marin accoutumé à l’Océan aurait cru qu’il n’y avait pas assez de vent pour donner, même à un bâtiment si léger, le degré de vitesse avec laquelle il semblait glisser sur l’eau ; mais la brise de terre était chargée de l’humidité de la nuit ; la même cause avait tendu la toile des voiles, et la force motrice avait presque doublé. Le Feu-Follet vira, vent devant, à huit grands milles de l’endroit où il avait changé de route, et assez au vent pour pouvoir avancer en ligne directe vers les rochers situés derrière le village de Santa-Agata, résidence de Ghita en ce moment. Raoul avait un double motif pour agir ainsi. Des bâtiments anglais passaient constamment entre la Sicile, Malte et Naples, et comme ceux qui marchaient au nord s’approchaient naturellement de la terre en cet endroit, sa position pouvait lui fournir les moyens de faire une bonne prise au retour du jour, s’il apercevait au large quelque bâtiment qui lui convînt. D’une autre part, il pourrait recevoir un signal de Ghita, signal qui serait bien cher à son cœur. Qui savait même si son inquiétude et son affection ne l’amèneraient pas sur le bord de l’eau ? Et, en ce cas, une autre entrevue avec elle ne serait pas impossible. Telle est la force de la passion, et Raoul y céda, comme l’aurait fait un homme plus faible et moins résolu, le héros soumis à son influence ne valant guère mieux que l’homme jeté dans le moule le plus ordinaire.

Les deux ou trois dernières journées avaient été des heures d’inquiétude et de fatigue pour les officiers et l’équipage du lougre, aussi bien que pour leur capitaine, et tout ce qui se trouvait à bord du Feu-Follet commençait à sentir l’impérieux besoin de dormir. Ithuel était dans son hamac depuis une heure, et Raoul pensait alors sérieusement à suivre son exemple. Ayant donné ses instructions à son troisième lieutenant, qui était de quart sur le pont, notre héros descendit dans sa chambre, et au bout de quelques minutes son esprit avait également oublié ses craintes et ses espérances.

Tout semblait favoriser le lougre et les projets de son commandant. Le vent tomba graduellement, et bientôt le sillage devint si faible,