Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 21, 1844.djvu/354

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est ici que je dois perdre le plaisir de votre compagnie, monsieur Clinch, dit Raoul avec une politesse qu’on pourrait appeler nationale : nous sommes aussi près de votre belle Proserpine que notre sûreté le permet, et nous désirons revoir notre belle France. Le vent est favorable pour nous conduire sur ses côtes, et en deux heures nous serions hors de vue, quand même il ferait jour. Vous aurez la complaisance de présenter mes compliments à M. Cuff. — oui, parbleu, et à ses braves Italiens qui ont tant d’amitié pour sir Smit. — Quant à vous, touchez là !

Raoul souriait en parlant ainsi, car, se jugeant en sûreté, son cœur était soulagé d’un grand poids, et son imagination lui rappelait des souvenirs plaisants. Quant à Clinch, ce discours était du grec pour lui, si ce n’est qu’il comprît qu’il allait être mis en liberté, et que l’intention des Français était de s’éloigner des côtes de l’Italie. Cette dernière circonstances lui fit plaisir, quoiqu’il eût donné bien des choses, quelques heures auparavant, pour savoir où trouver le lougre. Mais la générosité de Raoul avait opéré une révolution dans ses sentiments, et rien en ce moment n’était plus éloigné de ses désirs que d’être encore employé contre ce célèbre corsaire. Cependant il avait des devoirs à remplir envers la marine anglaise dont il faisait partie, envers Jane et envers lui-même.

— Capitaine Yvard, lui dit-il en serrant la main que celui-ci lui présentait, je n’oublierai jamais votre bonté, et je l’éprouve dans un moment très-heureux pour moi. Mon bonheur en ce monde — peut-être dans le monde à venir… — une exclamation : bah ! échappa involontairement à Raoul — dépendait de la liberté que vous me rendez. Je crois pourtant qu’il est juste de vous dire toute la vérité : — je dois faire tout ce qui dépendra de moi pour contribuer à la prise ou à la destruction de votre lougre, comme de tout autre bâtiment ennemi, aussitôt que je serai redevenu mon maître.

— Bon ! j’aime votre franchise autant que votre humanité, monsieur Clinch. Quand un Anglais m’attaque, je compte toujours trouver un brave ennemi ; et si c’est vous un jour, je sais que je n’y compterai pas en vain.

— Il sera de mon devoir, capitaine Yvard, de faire rapport au capitaine Cuff de l’endroit où j’ai trouvé votre lougre, de celui où je l’ai laissé, et de la route que je crois que vous suivez. S’il me fait des questions sur votre armement, votre équipage et autres détails de ce genre, je devrai lui répondre avec vérité.

— Mon cher, vous êtes un brave et honnête homme. Je voudrais qu’il fût midi, pour que vous puissiez voir mon petit lougre en plein