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Convaincu enfin que l’autre canot lui avait échappé, et sentant la nécessité de sortir de la baie avant la fin de la nuit, Raoul donna, un peu à contre-cœur, l’ordre d’arriver vent arrière et de placer les voiles en ciseaux. Le léger esquif s’était alors avancé au vent assez loin pour se trouver sous les nobles rochers qui séparent la plaine de Sorrento des côtes de Vico ; promontoire escarpé qui oppose à la mer un mur perpendiculaire d’environ mille pieds de hauteur. Là le Feu-Follet sentit toute la force du vent de terre, et lorsque la barre eut été mise au vent, et les écoutes filées, un oiseau tournant sur ses ailes n’aurait pu déployer plus de grâce ni presque plus d’agilité que ce léger bâtiment n’en montra en virant. Raoul fit route alors de pointe en pointe, afin de ne pas risquer d’être surpris par un calme dans les criques et les baies qui dentèlent cette côte. Il passa ainsi devant la baie de Sorrento au lieu d’y entrer, et par conséquent il laissa Yelverton, qui avait abordé à la Marina, hors de la ligne de sa route.

La marche du lougre était si rapide, qu’au bout d’un quart d’heure Raoul et Ithuel, qui avaient repris leur poste sur le gaillard d’avant, revirent la pointe sous laquelle ils avaient été cachés si peu de temps auparavant, et ils firent mettre la barre à bâbord afin de s’en écarter. Les rochers et les criques, les baies et les villages, disparurent l’un après l’autre, et ils arrivèrent enfin à la passe entre Capri et Campanella. En longeant la côte de cette manière, leur intention avait été de capturer les canots anglais qui pourraient se trouver sur leur route ; car quoique Raoul eût résolu de rendre la liberté à son prisonnier, il avait le plus grand désir de s’assurer de quelque autre officier de la Proserpine ; mais il ne rencontra pas même un bateau, et quand une fois il fut au large, il ne put conserver aucun espoir de réussir dans ce projet.

Comme le Feu-Follet se trouvait alors à une proximité dangereuse des croiseurs ennemis, les circonstances exigeaient que Raoul prît un parti décisif. Heureusement, il connaissait la position des bâtiments anglais, circonstance qui diminuait certainement le danger ; mais il aurait été imprudent de rester longtemps à une lieue de leur mouillage, au risque de voir tomber la brise de terre. Jusqu’alors l’obscurité de la nuit et l’ombre des côtes avaient caché le bâtiment corsaire, et son commandant résolut, sinon littéralement de faire son foin pendant que le soleil brillait, du moins de profiter de l’absence de cet astre. Dans cette vue, il fit mettre en panne, le canot de Clinch étant amarré au passe-avant sous le vent, et il ordonna qu’on amenât les canotiers prisonniers sur le pont, et l’aide-master sur le gaillard d’arrière.