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en était si loin, qu’elle refusait même de croire les rapports que lui faisaient les gens qu’elle regardait comme les ennemis de Clinch, et dont les médisances lui paraissaient des calomnies. Mais Clinch ne pouvait pas toujours imposer silence à la voix de sa conscience, et il se sentait souvent humilié en songeant avec combien plus de fermeté que lui Jane supportait le fardeau d’une si longue attente. Sa dernière conversation avec Cuff avait réveillé tout ce qui restait en lui d’ambition et de respect pour lui-même, et il avait quitté sa frégate le matin même, avec la résolution bien prononcée de se corriger, et de faire avec persévérance les plus grands efforts pour obtenir une commission, et par suite la main de Jane. La fin de la même journée le vit prisonnier, et ce fut un moment de profond désespoir ; mais la générosité de Raoul Yvard fit reparaître à ses yeux dans l’avenir une nouvelle perspective de bonheur.


CHAPITRE XXVI.


« Bien des songes planèrent sur le bâtiment une heure avant sa mort ; et la vue qu’ils offraient du pays natal arracha des soupirs au dormeur. »
Wilson.



Raoul eut bientôt pris son parti sur ce qu’il avait à faire. Tandis qu’il consolait Clinch, il avait chargé Pintard, son premier lieutenant, de chercher le second canot ; mais quelques minutes de recherches sous les rochers convainquirent bientôt celui-ci qu’il était impossible de le trouver, et il revint en faire rapport à son commandant. D’une autre part, toute l’adresse d’Ithuel ne put réussira obtenir la moindre information des canotiers de l’embarcation capturée ; car il existait à bord de la Proserpine aussi bien qu’à bord du Feu-Follet un esprit de corps incapable de céder aux menaces ou à la corruption. L’Américain fut donc obligé de renoncer à des efforts infructueux ; mais il ne manqua pas d’attribuer le refus des canotiers de trahir leurs compagnons, à l’obstination anglaise, plutôt qu’à aucun motif honorable. Il faut pourtant avouer que cette disposition à imputer les motifs les plus blâmables à la conduite de ceux qu’il haïssait n’était pas particulière à l’Américain ni à son pays, et il est plus que probable qu’il n’aurait pas été lui-même jugé plus favorablement à bord de la frégate anglaise dans des circonstances semblables.