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— Entrons dans ma chambre, Monsieur ; nous pourrons y causer plus à l’aise, et nous y aurons de la lumière.

Clinch était au désespoir. Peu lui importait où on le conduirait. Il entra dans la chambre du capitaine et s’y assit, les yeux égarés. Une bouteille d’eau-de-vie était sur une table, et il y jeta un coup d’œil avec l’air de férocité qu’on peut supposer à un loup affamé qui regarde un agneau avant de sauter dans le parc.

— Reconnaissez-vous Monsieur Itouel ? demanda Raoul, la chambre étant éclairée par une lampe. Êtes-vous sûr que c’est lui qui a montré tant de satisfaction en apprenant que le prisonnier n’avait pas été pendu ?

— C’est lui-même, capitaine, — un brave homme d’officier au fond, et qui n’a jamais fait de mal à personne qu’à lui-même. On disait à bord de la frégate qu’il était allé à Naples pour vous rendre service.

— Bien ! — Il y a longtemps que vous êtes sur votre canot, monsieur Clinch. Vous souperez ici, vous boirez un verre de vin, et vous serez libre ensuite de vous embarquer dans votre canot et d’aller rejoindre votre frégate.

Clinch ouvrit de grands yeux, comme s’il n’eût pu croire ce qu’il entendait. Enfin, la vérité se présenta à son esprit, et il fondit en larmes. Sa sensibilité avait été mise à l’épreuve pendant toute cette journée. L’espérance avait fait briller à ses yeux une perspective de bonheur dans l’avenir, par suite de la confiance que son capitaine lui avait de nouveau témoignée, et des avis qu’il en avait reçus. Il avait parfaitement réussi dans la mission qui lui avait été donnée, et c’était en tâchant de faire encore mieux qu’il était tombé entre les mains des ennemis de son pays. Cet instant avait suffi pour faire écrouler et ruiner de fond en comble tous les châteaux en Espagne que son imagination avait construits avec tant de plaisir. Cependant l’air de bonté de Raoul, les explications qu’il avait demandées à Ithuel, et les paroles qu’il venait de lui adresser, avaient déchargé sa poitrine du poids d’une montagne ; et cette réaction subite dans ses sensations l’avait privé de toutes ses forces morales. Personne n’est assez dégradé pour ne pas conserver quelque étincelle du feu divin qui unit l’esprit à la matière. Clinch avait encore le sentiment intime qu’il était en état d’être autre chose que ce qu’il était, et il éprouvait des moments d’angoisse insupportable quand l’image de Jane, tendre, patiente et fidèle, se présentait à son imagination et semblait lui reprocher un penchant honteux dont il rougissait lui-même.

Il est vrai qu’elle ne lui faisait jamais de semblables reproches. Elle