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que je suis, ou me rejeter entièrement. Je parle ainsi, quoique je sente que, si vous persistez dans votre cruelle décision, le désespoir me poussera à quelque coup de tête dont le résultat sera de me mettre de nouveau à la tendre merci de ces Anglais.

— Ne parlez pas ainsi, Raoul ; soyez prudent par intérêt pour votre pays…

— En non pas pour vous, Ghita ?

— Eh bien, oui, Raoul, pour moi aussi. Je ne cherche pas à cacher combien je jouirai d’apprendre que vous êtes heureux et tranquille, et je dois même ajouter, quoique ce soit mal, puisque vous êtes notre ennemi, que vous êtes toujours victorieux. Mais voici le chemin, et là-bas la chaumière où mon oncle doit m’attendre, et il faut nous séparer. Dieu vous bénisse, Raoul ! Vous serez toujours présent dans mes prières. Ne hasardez, — non, ne hasardez plus rien pour me voir ; mais, si…

Le cœur de la jeune fille était trop plein pour qu’elle pût continuer, Raoul attendait avec le plus vif intérêt ce qui allait suivre, mais Ghita garda le silence.

— Si quoi, chère Ghita, je vous en prie ? Vous étiez sur le point de dire quelque chose pour m’encourager, je crois…

— Oh ! combien je voudrais que cela fût vrai, mon pauvre Raoul ! J’allais ajouter : Si Dieu touche jamais votre cœur, et que vous vouliez vous agenouiller devant son autel, plein de foi, et ayant à votre côté une femme prête à vous sacrifier tout, excepté son amour pour l’être qui l’a créée, cherchez Ghita : vous la trouverez telle que vous désirez.

Raoul étendit les bras pour la serrer contre son cœur ; mais Ghita, se méfiant d’elle-même, l’évita, et s’enfuit comme si elle eût craint d’être poursuivie. Le jeune homme réfléchit un instant, à demi décidé de la suivre ; mais ensuite la prudence reprit son influence, et il sentit la nécessité de chercher un lieu de sûreté, tandis qu’il faisait encore nuit. L’avenir était encore devant lui, du moins en espérance, et cette espérance le portait à croire qu’il trouverait d’autres occasions de renouveler ses instances.

Mais Raoul Yvard connaissait peu Ghita Caraccioli, malgré toute son admiration pour elle. La nature l’avait douée de toute la sensibilité d’une femme, et son cœur était plein de tendresse pour lui ; mais l’amour pour son Dieu y était gravé en caractères encore plus profonds, et qui étaient ineffaçables. Dans tout ce qu’elle disait comme dans tout ce qu’elle sentait, elle était la vérité même ; et tandis qu’aucune fausse honte ne la portait à cacher son amour, elle trouvait dans ses prin-