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Ni Ghita ni son oncle ne sentirent plus aucune crainte ; mais la première annonça son intention de débarquer en cet endroit, en assurant à Raoul qu’elle trouverait très-facilement son chemin par le sentier conduisant à Santa-Agata.

L’acharnement de la poursuite qui venait d’avoir lieu, la mort à laquelle il venait d’échapper si récemment presque par miracle, joints à la nécessité dans laquelle il se trouvait de se séparer de sa maîtresse, jetaient notre héros dans une sorte, sinon de tristesse, du moins de mélancolie. Il ne pouvait demander à Ghita de partager plus longtemps ses dangers ; et cependant il sentait que, s’il lui permettait maintenant de le quitter, il en serait probablement séparé pour toujours. Il ne fit pourtant aucune objection ; et, laissant le canot sous la garde d’Ithuel, il aida Ghita à monter la rampe du bassin et se prépara à l’accompagner. Carlo était allé en avant, disant à sa nièce qu’elle le trouverait à une petite maison située sur le chemin, qu’elle connaissait aussi bien que lui.

L’obscurité de la nuit n’était pas assez grande pour rendre le chemin très-difficile, et Raoul et Ghita s’avancèrent pas lents à travers les rochers, chacun d’eux en proie au même sentiment de regret au moment de se séparer, quoiqu’ils envisageassent l’avenir sous des points de vue presque opposés. La jeune fille prit le bras de Raoul sans hésiter ; et il y avait dans le son de sa voix, comme dans toutes ses manières, une tendresse qui prouvait combien son cœur était intéressé à ce qui se passait. Mais les principes avaient toujours la première place dans ses pensées, et elle se décida à parler à cœur ouvert et sans aucune réticence.

— Raoul, dit-elle après avoir écouté quelques-unes de ces déclarations d’amour qui ne pouvaient que flatter extrêmement une jeune fille aussi affectionnée et aussi sincère, même au moment où elle sentait le plus vivement l’obligation de résister à ses instances insinuantes ; Raoul, il faut en finir. Je ne puis risquer davantage d’avoir à supporter des scènes pareilles à celles dont j’ai été témoin tout récemment, ni vous permettre de courir de semblables dangers. Il faut que nous nous entendions bien ; il faut que nous nous séparions, et le plus tôt sera le mieux et le plus sage dans notre intérêt commun. Je me reproche d’avoir permis que notre intimité ait été aussi profonde et aussi prolongée.

— Et c’est là le langage d’une ardente Italienne ! d’une jeune fille de dix-huit ans, née dans un pays où l’on dit que le cœur est encore plus chaud que le soleil ! d’une race parmi laquelle on trouve rarement une pauvre enfant qui ne soit prête à sacrifier demeure, pays,