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quoique Ithuel crût de temps en temps entendre un bruit semblable à celui que produiraient des avirons imparfaitement garnis. Raoul ne fit que rire de ses appréhensions ; et pour dire la vérité, le plaisir d’être près de Ghita et de se retrouver en toute liberté, sauf celle du cœur, lui firent un peu négliger ses devoirs. Le canot continuait pourtant à avancer, quoique avec moins de vitesse ; enfin la conformation des hauteurs et l’apparition des lumières sur la plaine firent reconnaître à Ghita qu’ils approchaient de la partie de la côte sur laquelle est située la ville de Sorrento.

— Dès que mon oncle et moi nous serons débarqués à la Marina Grande, Raoul, dit Ghita, vous et l’Américain vous ne manquerez pas de vous mettre à la recherche de votre lougre, et vous me promettez de quitter ensuite cette côte ; vous me le promettez, n’est-ce pas ?

— Pourquoi demander des promesses à un homme en qui vous n’avez pas assez de confiance pour croire qu’il les exécutera ?

— Je ne mérite pas ce reproche, Raoul. Nulle promesse n’a jamais été violée entre vous et moi.

— Il n’est pas facile de violer une promesse avec une femme qui ne veut jamais en faire ni en recevoir. Je ne puis me vanter de mon exactitude à tenir des promesses dont le sujet est si frivole. Venez avec moi devant un prêtre, Ghita ; demandez-moi alors tous les serments qu’un homme a jamais faits, ou qu’il peut faire, et vous verrez si un marin sait être fidèle.

— Et à quoi bon un prêtre, Raoul ! Ne sais-je pas que vous traitez de momeries toutes les cérémonies de l’église, et que vous ne regardez pas un serment comme plus sacré pour avoir été prêté devant l’autel de Dieu, et en présence d’un de ses saints ministres ?

— Tout serment fait à vous, Ghita, est sacré à mes yeux, et il ne faut ni témoin ni lieu consacré pour le rendre plus inviolable. — Vous êtes mon autel, — mon prêtre, — mon…

— Silence ! s’écria Ghita, tremblant qu’il ne prononçât le nom de l’Être tout-puissant à qui son cœur rendait grâce en ce moment même d’avoir sauvé son amant de si grands dangers ; vous ne savez ce que vous voulez dire, et vous pourriez proférer des paroles qui me causeraient plus de peine que je ne pourrais vous l’exprimer.

— Ho, du canot ! s’écria une voix à une vingtaine de brasses entre le fugitif et la terre. Cette voix ayant le ton bref et décidé d’un homme habitué au service d’un bâtiment de guerre, il y eut un silence de quelques secondes, car Raoul et ses compagnons avaient été complètement pris au dépourvu. Mais enfin Raoul, sentant qu’il