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ment ou non sur notre planète un point qu’on appelle l’île d’Elbe.

— Ah ! Raoul, souvenez-vous des terribles quarante-huit heures que vous venez de passer, et ne songez pas à plaisanter avant que vous soyez tout à fait hors du pouvoir de vos ennemis.

— Sur ma foi ! je serai obligé d’avouer désormais que les Anglais ne sont pas sans générosité. Je ne puis nier qu’ils ne m’aient bien traité ; je voudrais presque qu’ils m’eussent montré plus de rigueur.

— Ce n’est pas un sentiment louable, Raoul ; il faut tâcher de le bannir de votre cœur.

— Accorder à un Anglais de la générosité, c’est beaucoup trop, capitaine Roule, dit Ithuel ; c’est une race féroce, et elle s’engraisse des misères humaines.

— Mais, mon bon Itouel, vous leur devez de la reconnaissance, car ils ont épargné votre dos, cette fois-ci.

— Et pourquoi ? répondit l’Américain, ne voulant accorder aux Anglais ni justice ni libéralité ; parce qu’ils manquent de bras, et qu’ils ne voulaient pas se priver des services d’un bon gabier. Si leur équipage avait été au complet, ils ne m’auraient pas laissé sur le dos assez de peau pour en couvrir la plus petite pelote à épingles. Non, non ; je ne leur dois aucun remerciement.

— Eh bien, quant à moi, je parlerai toujours bien d’un bâtiment sur lequel j’ai passé. Le capitaine Cuff m’a accueilli avec bonté, m’a bien nourri, bien logé, m’a donné un bon lit, et m’a accordé un sursis fort à temps, ma foi.

— Et votre cœur ne rend-il pas grâce à Dieu de cette dernière faveur, cher Raoul ? dit Ghita d’une voix si douce et si tendre, que le jeune corsaire se serait volontiers jeté aux genoux de la jeune fille pour l’adorer.

Cependant, après un instant de silence, il éluda la question, en reprenant le fil de ses idées.

— J’allais oublier la philosophie dit-il, ce qui n’était pourtant pas un petit régal. De par le ciel ! on aurait de bon cœur couru quelque risque pour aller à une telle école. — Brave Itouel, avez-vous compris quelque chose à la discussion qui avait lieu entre les Italiens, quand vous étiez près du sabord ?

— Je les ai entendus jargonner leur italien, et j’ai supposé qu’ils parlaient de fêtes, de saints et de jours maigres. Des hommes de bon sens ne font point tant de tapage quand ils causent de choses raisonnables.

— Eh bien, ils, parlaient de philosophie. Ils se moquaient de nous autres Français, parce que nous préférons la raison à tous leurs pré-