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conduit par deux rameurs, et avec quatre bras aussi vigoureux que ceux qui le dirigeaient alors, il pouvait être regardé comme ayant un équipage complet. Il ne pouvait pourtant lutter de vitesse avec le gig, sur lequel Yelverton avait mis quatre rameurs d’élite ; et après avoir fait un mille et demi, les oreilles exercées de Raoul furent assurées que la distance qui le séparait de ses ennemis était déjà diminuée de près de moitié. Comme ses avirons étaient garnis aux dames pour éviter le bruit, il résolut de changer de route, dans l’espoir que le gig passerait en avant de lui sans l’apercevoir. Au lieu de continuer à gouverner vers la terre, il tourna donc du côté de l’ouest, la mer étant couverte de ténèbres plus épaisses dans cette direction, à cause de la proximité de Capri. Cette ruse lui réussit complètement. Yelverton suivait sa chasse avec tant d’ardeur, qu’il continua à s’avancer sur la même ligne, s’imaginant même de temps en temps entrevoir le canot en avant de lui, et il en passa à environ soixante-quinze brasses, sans se douter qu’il était si près. Raoul et Ithuel cessèrent de ramer pour laisser s’opérer ce changement de position, et le dernier soulagea son animosité en lâchant quelques sarcasmes sur la stupidité de ceux qui les poursuivaient. Aucune des embarcations anglaises n’avait ses avirons garnis, de sorte que les fugitifs entendaient le bruit non-seulement des avirons du gig, qui était alors en avant, mais aussi de ceux des deux premiers canots qui avaient suivi la même route qu’Yelverton, et qui, entendant aussi le bruit des avirons du gig, firent force de rames pour le poursuivre, s’imaginant être dans les eaux des fugitifs. Raoul laissa passer en avant ces trois canots, et quand il les jugea assez éloignés, Ithuel et lui les suivirent sans se presser, ménageant leurs forces pour les déployer au besoin.

Le gig et les deux canots qui le suivaient semblaient se disputer le prix de la course. Ceux-ci, entendant toujours le bruit des avirons du premier, et se croyant sur la piste des fugitifs, redoublaient d’efforts pour l’atteindre, et Yelverton, dont les oreilles n’étaient pas moins bonnes, se voyant à peu de distance d’autres canots de la frégate, ne négligeait rien pour s’assurer l’honneur d’avoir repris les fuyards sans l’aide de personne. Cette circonstance rendit plus facile la tâche de Raoul et d’Ithuel, qui se trouvèrent bientôt à plus d’une encâblure en arrière de ceux qui les poursuivaient.

— On croirait, Ghita, dit Raoul en riant, quoiqu’il eût la précaution de parler à voix basse, on croirait que vos anciens amis, le vice-gouverneur et le podestat, commandent les canots qui sont entre nous et le rivage, si l’on ne savait qu’ils sont en ce moment à bord de la Proserpine, discutant la question de savoir s’il existe réelle-