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percevoir son canot, quand même il y aurait eu sur le pont de la frégate quelqu’un chargé de le surveiller. Là Carlo s’arrêta ; car son état habituel de rêverie n’allait pas jusqu’à oublier ce qu’on attendait de lui. Ceux qui étaient sur le pont faisaient d’autant moins attention à lui qu’on le jugeait incapable de s’occuper des choses de ce monde.

— Voici le moment, dit Ithuel ; n’y a-t-il aucun danger de votre côté ?

Raoul leva la tête et regarda autour de lui. Il entendit encore rire et causer a demi-voix les officiers rassemblés autour de sa chambre, mais ils ne paraissaient s’occuper aucunement de lui. Cependant, comme il y avait quelque temps qu’il n’avait parlé, il crut devoir leur faire entendre sa voix, et ayant soin que le son ne parût pas sortir du sabord, il répéta une des objections qu’il avait déjà faites contre la théorie du vice-gouverneur ; mais celui-ci, qui était au plus fort de sa controverse avec le podestat, ne voulut pas en perdre le fil pour y répondre ; Raoul s’y attendait, mais il avait atteint son but, qui était de faire savoir qu’il était toujours dans sa prison, ce qui pouvait empêcher qu’on ne découvrît sa fuite aussi promptement. Tout semblait donc propice, et ayant repris sa première position, il avança sa tête hors du sabord, de sorte qu’elle n’était plus qu’à quelques pouces de celle d’Ithuel.

— Tout va bien, lui dit-il ; qu’ai-je à faire à présent ?

— Rien que de sortir du sabord par la tête et les épaules, en vous aidant de vos pieds.

Raoul suivit cet avis, et n’avança d’abord que pouce à pouce ; mais dès qu’il eut un bras hors du sabord, Ithuel lui mit en main une corde, en lui disant qu’elle était solidement attachée à la chaîne au-dessus. La corde rendit le reste facile, et il n’y avait d’autre danger à craindre que trop de précipitation. Il aurait alors été fort aisé à Raoul de tirer son corps hors du sabord, et de se laisser couler dans le canot ; mais, pour s’échapper, il était indispensable d’éviter d’être aperçu. La Proserpine était alors à une bonne demi-lieue de la pointe de Campanella et précisément par le travers ; et il n’y avait de sûreté pour les fugitifs qu’autant qu’ils auraient quelque avance sur ceux qui pourraient les poursuivre. Cette considération fit sentir à Ithuel la nécessité de la circonspection ; et Raoul, de son côté, faisait la même réflexion. Cependant il ne lui fallait plus qu’un léger effort pour sortir entièrement du sabord ; et alors rien ne lui était plus facile que de descendre dans le canot. Ithuel vit qu’il s’y préparait, et lui pressant un bras, il lui dit : — Attendez un moment. Écoutons si les deux Italiens sont encore comme chien et chat.